Autoédition : fin de l’histoire ?

Publié le 05 octobre 2016 par Thibaultdelavaud @t_delavaud

En 1992, Francis Fukuyama publia La Fin de l’Histoire et le dernier homme. Dans cet essai au retentissement mondial, Fukuyama affirmait que la fin de la Guerre Froide signifiait la fin des idéologies : le capitalisme et la démocratie avaient triomphé et étaient désormais acceptés par tous. On peut être d’accord ou pas avec cette théorie et l’objectif de cet article n’est pas de débattre des thèses de Fukuyama. Si j’en parle, c’est parce que je me suis récemment interrogé si nous n’assistions pas à un phénomène similaire avec l’autoédition, une fin de l’histoire.

Photo de Hitchster (CC-BY)

L’autoédition s’est indéniablement développée ces dernières années. Lorsque j’ai commencé à m’y intéresser, en 2012, l’autoédition en était à ses balbutiements en France. Aujourd’hui, les médias généralistes évoquent régulièrement l’autoédition, de nombreux success stories ont vu le jour et des start-ups proposent des services aux auteurs. Dès lors, peut-il y avoir d’autres perspectives pour l’autoédition ? N’a-t-elle pas atteint un stade ultime, sa « fin de l’histoire » ? Bien sûr, l’autoédition peut encore se développer : accroissement des ventes, hausse du nombre d’auteurs ayant recours à l’autoédition… Mais peut-on s’attendre à de nouvelles perspectives, d’autres mutations ? Je n’en suis pas sûr et examinons dans quelle mesure l’autoédition pourrait significativement bousculer le paysage littéraire et l’industrie du livre.

L’autoédition peut-elle remplacer les maisons d’édition traditionnelles et révolutionner en profondeur l’industrie du livre ?

Je ne pense pas. Seules les petites maisons d’édition ou celles de taille moyenne peuvent être menacées par l’autoédition. Certains auteurs, qui auraient été tentés de faire appel à leurs services, peuvent finalement choisir l’autoédition et elles peuvent être concurrencées par de nouveaux entrants comme des maisons d’édition 100% numérique (et je ne suis pas certain que leur business model soit viable). En revanche, les Gallimard, Flammarion et Grasset peuvent dormir sur leurs deux oreilles, leur démarche et leur lectorat sont peu compatibles avec ceux de l’autoédition. Par ailleurs, on se réjouit du fait que certaines maisons d’édition, comme Michel Lafon, repèrent des auteurs autoédités et leur proposent un contrat. Certes, c’est une forme de reconnaissance pour les auteurs indépendants mais ce mode de fonctionnement condamne l’autoédition à demeurer un vivier, une sorte de « sous-édition ».

L’image de l’autoédition peut-elle changer auprès du grand public ?

Conséquence du constat dressé précédemment, l’image de l’autoédition a certes évolué favorablement par rapport à ses débuts mais je pense qu’en France, l’autoédition aura toujours une mauvaise image. L’article que j’ai écrit il y a quelques années Pourquoi l’autoédition ne décolle pas en France ? reste vrai dans le sens où culturellement, les Français n’ont pas le même rapport à la littérature et aux écrivains que les États-Unis, le Royaume-Uni ou même l’Allemagne. Cela changera peut-être, mais pas avant une vingtaine voire une trentaine d’années.

Photo de Marc Brüneke (CC-BY)

L’autoédition peut-elle remettre en cause le système actuel des prix littéraires ?

Probablement pas. Les prix Goncourt, Renaudot etc. continueront d’avoir leur renommée actuelle et leur existence est conditionnée à celle des maisons d’édition comme Gallimard et Flammarion. En revanche, peut-être que des prix littéraires, reconnus et sérieux, consacrés aux livres autoédités verront le jour. Amazon a lancé plusieurs prix qui ont connu du succès et ils contribueront peut-être à rendre l’autoédition visible. Mais est-ce que cela sera suffisant ? J’en doute. Et il y a fort à craindre qu’un tel prix soit considéré comme un « sous-prix », bien loin des Goncourt et autres.

L’autoédition peut-elle permettre à plus d’auteurs de vivre de leur plume ?

Il est indéniable qu’à nombre d’exemplaires vendus équivalents, l’autoédition offre une meilleure source de revenus par rapport à l’édition traditionnelle (même si généralement, un auteur indépendant doit  débourser une somme d’argent pour la couverture de son livre etc.). Mais l’enjeu n’est pas vraiment là. Même en étant autoédité, il faut vendre énormément de livres pour pouvoir gagner sa vie. A ce jour et à ma connaissance, aucun des auteurs indépendants en France, même ceux qui vendent beaucoup, vivent de leur plume. Sera-ce le cas à l’avenir ? Pas sûr non plus. Le marché des livres autoédités va encore s’accroître mais suffisamment pour que des dizaines voire des centaines d’auteurs en vivent ? Je ne pense pas.

Au final, j’imagine un avenir dans lequel l’autoédition continuera à se développer mais restera semblable à sa forme actuelle, sans apporter de révolution substantielle. Une « fin de l’Histoire » peut sembler exagérée aujourd’hui mais sans mutation profonde, celle-ci sera proche dans quelques années.