Les voies étroites du silence

Publié le 10 octobre 2016 par Fmariet

Alain Corbin, Histoire du silence. De la Renaissance à nos jours, Paris, Albin Michel, 2016, 218 p. (dont 8 p. de reproductions)
Histoire inattendue que celle du silence, dont la définition n'est pas l'absence de bruit mais plutôt la recherche d'un éloignement du bruit : isolement, recueillement, paix loin de l'excitation urbaine et sociale, retraite hors du monde et des autres : chambre, monastère, bibliothèque, forêt, nuit ... Le goût du silence pour rompre avec le bavardage.
La ville fait du bruit, de plus en plus de bruit, bruit des véhicules surtout, klaxons énervés, sirènes d'urgence, bruits de machines, de moteurs (camions, avions), motos qui expriment en pétarades des impatiences, des colères peut-être. Bruit heureux d'être ensemble des enfants, des adolescents, des manifestants dans la rue. Le droit de faire du bruit dans la rue, espace public, semble aller de soi. Alain Corbin s'intéresse surtout au mouvement de retrait du bruit social. Si le bruit est à la portée de tous, ce n'est pas le cas du silence.
Plutôt qu'une sociologie historique de la sensibilité aux bruits, l'auteur traite son sujet en puisant dans l'histoire de la littérature : Julien Gracques et Le Rivage des Syrtes, Baudelaire, Proust, Senancour, Lorca, Bernanos, ThoreauRodenbach, Huysmans, Celan, Vigny, Hugo, Péguy, etc. Anthologie littéraire du silence. Une très grande place est faite à la littérature religieuse, chrétienne principalement : Thérèse d'Avilla, Jean de la Croix, Pascal. Une mention brève du silence au cinéma : cinéma muet, bien sûr (Chaplin, Dreyer et sa Passion de Jeanne d'Arc, Murnau, King Kong) mais aussi Blow-Up d'Antonioni, Tous les matins du monde sur Monsieur de Sainte Colombe, Marin Marais et la viole de gambe : les vrais silences sont dans les films parlants. Le silence est l'effet d'un écart, d'une retraite.
La peinture aussi peut exprimer les "voix du silence" : Magritte, Dali, Hopper, "le silence des choses dans l'œuvre de Chardin"... A travers quelques thématiques, le livre égraine des occasions de se taire, de faire silence : l'amour, la haine, la lecture, la prière. Beaucoup de citations pour pointer les modalités du silence, les réflexions qu'il peut inspirer.
Reste, de nos jours, le bruit que chacun s'inflige dans des écouteurs ; restent le bavardage inévitable de la radio, ou, surtout, celui, si pénible, des téléphones portables quand de pauvres gens tonitruent des banalités où perce parfois la fierté ou l'émotion. "T'es où ?".
Comment comprendre, aujourd'hui, que des campagnes ont eu lieu autrefois pour dénoncer le bruit des cloches (1883) ? L'affiche de Signac pour Aspro (1964) reste d'actualité.