Olivier Adam, le cœur régulier : le séisme de vivre

Par Kaeru @Kaeru

Ce roman intérieur nous transporte dans le quotidien d'une femme, Sarah, dévastée par le décès de son frère et qui va peut à peut se repositionner dans son existence, comme on revit avec qu'un séisme ou un tsunami aient balayé nos certitudes et nos habitudes. Un livre poignant.

Le deuil comme seconde chance pour vivre


Pour Sarah, l'accident de voiture de son frère est un suicide. Il s'est mis son dans un platane. Volontairement. Parce que Nathan, son frère, si proche, si aimé, si cassé, n'a pas pu mourir ainsi, bêtement. Parce qu'il voulait mourir depuis longtemps. Elle est en certaine, même si, depuis plusieurs année, leur relation c'était distendue. Dans la vie lisse de Sarah, avec ses deux enfants, son mari parfait, son travail productif, il n'y avait plus la place pour un être aussi écorché vif et volatil. Alors, elle s'était détourné ; mais, face au deuil, tout se fissure. 
Alors Sarah part au Japon, là où Nathan a vécu quelque temps. Elle part dans un endroit à la célébrité funeste : les falaises des suicidés. Sarah ne sait pas ce qu'elle cherche, retrouver la proximité, le lien avec son frère défunt ? Comprendre sa mort ? Elle part à la rencontre des habitants et surtout, de Natsume, un ancien flic qui arpente le bord de mer, à l'affut de ceux qui voudraient se lancer dans la vide, pour les sauver d'eux-même. Là bas, au Japon, dans ce bout de paysage brouillé par les embruns, teinté par le désespoir de ceux qui ne veulent plus vivre, Sarah renoue avec elle-même, et petit à petit, ouvre les yeux sur la réalité de son existence.

Maestria littéraire


Le cœur régulier est d'une grande qualité littéraire : un style d'écriture affirmé, particulier, très poétique, à la fois riche en vocabulaire, précise et très fluide. Sa construction narrative faussement linéaire avec une alternance de flash-back précis emporte le lecteur dans la vie de Sarah, lui impose sa réalité des choses, la violence de son deuil mais surtout, le contre-coup, encore plus étourdissant. Peu à peu, Olivier Adam arrive à tordre notre perception, nous donner le regard de Sarah comme "vrai" avant de nouveau de le rendre flou, lointain, pour mieux réajuster la vision d'un réel avec un tumulte d'émotions contradictoire. Ce livre raconte des vies, des relations familiales, la difficulté de s'aimer soi-même et les autres sans masques. Le cœur régulier raconte aussi une retraite, loin des siens, loin des cadres et codes sociaux, loin de toutes les obligations qui tiennent nos vies. L'absence des repères et la bienveillance des rencontres vont permettre à Sarah de se mettre aussi à nue, d'abaisser les protections qu'elle a ériger depuis son enfance, des protections devenues prisons.
Il n'y aucune facilité, aucune mièvrerie et surtout aucune complaisante dans ce roman. Quand les masques tombent, quand les illusions et les projections éclatent, que le réel qu'on pensait solide se fissure pour révéler une autre réalité, nue, objective, beaucoup plus complexe et nuancé, on peine, on souffre dans sa lecture. Ce roman m'a bouleversé. A la fois par son fond, une histoire terrible, magnifique et étonnement, libératrice et porteuse d'espoir, mais aussi par la forme : son écriture, son construction judicieuse, la maestria avec lequel le Japon est traité, l'évolution de la narratrice, son humanité.
Une amie m'a prête ce livre. Elle l'a conseillé, sincère en précisant que ce qu'elle sentait de moi et de ma façon d'écrire lui paraissait correspondre à ce livre-ci. Je voulais livre Olivier Adams depuis des mois. Il fait parti de ces auteurs français contemporains qu'un apprenti-écrivain inspiré de Japon se doit de connaître. Et puis, il a séjourné à la villa Kujoyama, comme Eric Faye (Malgré Fukushima) ou Bertrand B Reverdy (Les évaporé, un roman japonais). J'ai refermé le livre, bouleversée, secouée par un séisme intérieur. J'ai songé qu'il me reste à lire tout ses autres romans, que j'ai des amies drôlement finaudes. Maintenant, il va falloir bosser dur pour que mon écriture soit aussi percutante que la sienne !
Le personnage de Natsume, qui cherche à sauver les candidats au suicide, est inspiré de Yukio Shige : http://www.liberation.fr/planete/2009/03/03/vigie-suicide_457046
Un autre article (qui parle aussi de l'adaptation cinématographique) :  http://www.journaldujapon.com/2016/03/30/le-coeur-regulier-du-livre-au-film/ Copyright : Marianne Ciaudo