Afghanistan

Par Jmlire

" Combien de personnes ont laissé leur peau en tentant de dominer et de soumettre ce pays ? Même si les Afghans ne sont que moitié moins abrupts que les montagnes qu'ils peuplent, la mission est vouée à l'échec dès son tout début. Pourtant, ces tentatives n'ont pas manqué. Les Britanniques ont essayé dès 1839, Dost Mohammad Khan régnait alors sur Kaboul depuis 1818. Il avait toujours été positif à l'égard des Britanniques, mais en 1837, des rapports alarmants annoncèrent qu'il était en passe de signer des accords avec des émissaires russes à Kaboul. La nouvelle éveilla l'inquiétude chez les Britanniques, dont la plus grande crainte était que le Tsar envahisse l'Inde via l'Afghanistan. Après quelques hésitations, les Britanniques décidèrent de remettre sur le trône leur ancien allié, Shah Shojah, chassé de Kaboul trente ans plus tôt.

En décembre 1838, 20 000 soldats britanniques et indiens partirent d'Inde. Quand ils atteignirent Kaboul, en avril 1839, ils avaient franchi des cols à plus de 4 000 mètres d'altitude et soumis une série de villes afghanes modestes sans pertes conséquentes. Dost Mohammad fut contraint de fuir et Shah Shojah s'accapara le trône. Shojah était pourtant un dirigeant faible et, pour s'assurer qu'il resterait en place, les Britanniques n'eurent d'autre choix que de prolonger leur séjour à Kaboul. Cette présence déplaisait au plus haut point aux Afghans et, en novembre 1841, de violentes émeutes éclatèrent. Les Britanniques reconnurent qu'ils avaient perdu le contrôle et décidèrent de se retirer. Le 6 janvier 1842, l'ensemble de la colonie indo-britannique de Kaboul, soit plus de 16 000 personnes en tout, mit le cap sur la forteresse britannique de Jalalabad, à 145 kilomètres de là. Il faisait un froid terrible ; une partie des migrants succombèrent aux basses températures dès la première nuit, bon nombre eurent les membres gelés. Après trois jours de marche, ils atteignirent la passe de Kurd-Kaboul, où les Afghans les attendaient en embuscade. Les soldats britanniques et indiens n'avaient aucune chance. Des 16 000 partis de Kaboul, un seul parvint à la forteresse de Jalalabad, le médecin William Brydon. Il arriva ensanglanté et exténué, sur un poney en aussi mauvais état que lui, le 13 janvier 1842, une semaine exactement après leur départ de Kaboul. Hormis la petite centaine de Britanniques pris en otage par les Afghans, ainsi que quelques centaines d'Indiens qui réussirent à fuir, toute la colonie indo-britannique fut exterminée dans l'embuscade.

Quelques mois après l'assassinat de Shah Shojah, Dost Mohammad reprit son trône.

Il y a beaucoup de ressemblances frappantes entre la tentative britannique de soumettre Kaboul et l'invasion russe qui eut lieu en 1979, cent quarante ans plus tard. Les Russes aussi souhaitaient installer un chef proche du régime à Kaboul. La guerre qui dura neuf ans eut pour résultat la mort de 14 000 soldats soviétiques. Plus d'un million de civils afghans avaient dû payer de leur vie et au moins autant avaient été forcés à l'exil. Quand les chars soviétiques se retirèrent en 1989, ils n'étaient arrivés à rien du tout.
L'avisé apprend de ses erreurs, le sage de celles des autres, dit-on. Les Britanniques n'appartiennent manifestement à aucune de ces deux catégories car ils soutinrent activement l'invasion que l'OTAN effectua en 2001. Après plus de douze années de guerre, des milliers de personnes sont mortes des deux côtés. Aujourd'hui, les talibans ont de nouveau le vent en poupe, y compris dans des régions afghanes où ils n'avaient encore jamais eu aucune influence..."

Erika Fatland : extrait de "Sovietistan" un voyage en Asie centrale" Editions Gaia, 2016