Sur le colonialisme (deux)

Publié le 22 juin 2008 par Saucrates


Réflexion dix (22 juin 2008)
Les débuts du colonialisme ... Une histoire des différents colonialismes européens ...


« ... Nous savons que l'homme blanc ne comprend pas nos moeurs. Une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c'est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n'est pas son frère, mais son ennemi, et lorsqu'il l'a conquise, il va plus loin. Il abandonne la tombe de ses aïeux, et cela ne le tracasse pas. Il enlève la terre à ses enfants et cela ne le tracasse pas. La tombe de ses aïeux et le patrimoine de ses enfants tombent dans l'oubli. Il traite sa mère, la terre, et son frère, le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu'un désert ... »
Extrait d'une des versions du discours attribué au grand chef indien Seattle des tribus Dumawish et Suquamish (1854)


Le colonialisme européen n'est pas une seule et unique entreprise de colonisation du monde. Il s'est agit d'une course entre grandes puissances commerciales, maritimes, et militaires européennes, pour contrôler et envahir le monde entier. Il ne s'agissait pas d'une volonté de civiliser les peuples du monde entier (ce que d'aucun appelle aujourd'hui "apporter la civilisation"). Non, il s'agissait d'une entreprise de conquête, d'une entreprise commerciale, par des peuples avide d'or, de métaux précieux et d'enrichissement personnel. Cette entreprise rentrait dans le cadre d'une lutte militaire entre quelques grandes puissances européennes, qui se battaient pour la suprématie militaire en Europe, et qui recherchèrent dans cette colonisation du monde entier des moyens d'enrichissement supplémentaire pour remporter la seule guerre qui leur importait ... le contrôle de l'Europe ...
L'entreprise de colonisation du monde démarre sous l'impulsion du Portugal, qui conquiert Tanger dès 1419. Mais les Portugais créent un empire essentiellement commercial. Ils s'installent et n'exploitent que les côtes des territoires où ils s'implantent (Brésil, Afrique ...). Ils installent essentiellement des comptoirs qui cherchent à drainer l'or et les épices, avant de se livrer à la traite des esclaves.
De son côté, l'Espagne attendra la fin du XVe siècle pour entreprendre son expansion maritime. Les Espagnols mettent sur pied une administration forte sous l'autorité de vice-rois et du Conseil des Indes. Fournisseurs d'énormes quantités d'or et d'argent puis de sucre, ces territoires nouvellement conquis attirent rapidement des colons, grâce auxquels se crée une Nouvelle-Espagne fondée sur l'esclavage. Les colonies espagnoles les plus évoluées deviennent des sociétés mixtes, où des minorités de créoles blancs et métis dominent les populations indigènes. En 1493, une bulle du pape Alexandre VI, puis le traité de Tordesillas (1494) prononcent le partage du monde entre les deux royaumes ibériques, mais les autres puissances refusent de le reconnaître.
Les hollandais (Provinces-Unies), émancipés de la tutelle espagnole et disposant de marins audacieux et de commerçants dynamiques, se lancent également dans l'entreprise de colonisation. En 1621 est créée la Compagnie hollandaise des Indes occidentales. En 1648, celle-ci possède des colonies agricoles et commerciales en Amérique du Nord (Nouvelle-Amsterdam), sur les côtes du Brésil, dans les Antilles et en Afrique. Les Néerlandais s'installeront aussi au cap de Bonne-Espérance (noyau de la colonie boer d'Afrique du Sud), en Inde, en Malaisie et dans les îles de la Sonde. À Java, Batavia devient le centre d'une colonisation essentiellement commerciale, qui laisse systématiquement subsister les pouvoirs locaux. Même si le peuplement européen reste faible, la colonisation néerlandaise favorise la création de grandes plantations aux mains des Européens.
La France et l'Angleterre se lanceront un peu plus tardivement dans l'entreprise de colonisation, aux XVIIe et XVIIIe siècles. La France crée d'abord des comptoirs en Afrique (Saint-Louis du Sénégal) et en Inde, mais ses principales entreprises ont lieu en Amérique. Comme les comptoirs portugais, les colonies françaises d'Afrique et d'Inde ne contrôlent que le bord des côtes, comme si l'intérieur de ces rivages faisait peur. Des colons français s'établissent également dans la vallée du Saint-Laurent (Canada) et, de là, descendent le Mississippi jusqu'en Louisiane. La France occupera aussi plusieurs îles aux Antilles au début du XVIIe siècle, qui joueront un rôle plus important, alimentant la métropole en sucre et en tabac. La société, très hiérarchisée, y est formée d'une minorité de créoles blancs et d'une majorité d'esclaves ou d'affranchis, métis ou descendants d'Africains. Sauf à l'époque de Colbert, la métropole n'accorde à ses colonies qu'une attention limitée. L'abandon du Canada et de l'Inde aux Britanniques (1763) marque le premier recul de la colonisation française. La Louisiane sera vendue aux Etats-Unis ultérieurement. La Révolution et les guerres napoléoniennes scellent la fin du premier empire colonial français ; en 1817, ce dernier est réduit aux Antilles, à la Guyane et à Saint-Louis du Sénégal.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l'Angleterre devient une grande puissance maritime et se dote d'un immense empire. Un siècle après l'arrivée des premiers migrants du Mayflower (1620), les colonies d'Amérique sont limitées à la côte est et à la Jamaïque et ne comptent encore que 400 000 habitants. Les progrès décisifs ont lieu au XVIIIe siècle, avec la pénétration au cœur du continent américain, et, d'autre part, l'occupation d'une partie de l'Inde à partir de 1764. Les colonies britanniques sont gouvernées suivant les principes du mercantilisme : spécialisation dans les matières premières agricoles, destinées à être transformées dans la métropole, interdiction du commerce sauf avec la métropole (système de l'Exclusif). La Grande-Bretagne est donc beaucoup plus intéressée par les colonies de plantations à main-d'œuvre servile (Antilles, Virginie, Caroline, Géorgie) que par les colonies de peuplement.
La révolte des treize colonies britanniques d'Amérique du Nord, de 1773 à 1776, est le signe de l'apparition d'un nationalisme colon, qui se propage rapidement dans toute l'Amérique. La guerre d'Indépendance des États-Unis (1776-1784) est suivie par la libération des colonies espagnoles vers 1820, et par la séparation du Brésil et du Portugal en 1822.
Mais ce ne sera pas la fin du colonialisme ... Viendront ensuite la constitution des empires coloniaux français et anglais en Afrique et en Asie ...
Réflexion neuf (18 juin 2008)
Quelle comparaison possible entre le colonialisme anglais et le colonialisme français ?

Cela a-t-il un sens de comparer les legs des colonialismes anglais et français ? D'une certaine façon, ne serait-ce pas comme tenter de rechercher le moins mauvais des deux colonialismes, ou d'en comparer les bienfaits ? Il n'est pas sûr que cela ait un sens.
A première vue toutefois, les anciennes colonies anglaises semblent mieux s'en tirer économiquement et socialement parlant aujourd'hui que les anciennes colonies françaises. Un certain nombre d'anciennes colonies anglaises sont de toute façon des pays dits occidentaux, pour certains appartenant au G8 ... Etats-Unis, Canada, Australie, Afrique du Sud ... Aucune ancienne colonie française n'a eu ce développement. En même temps, ces anciennes colonies se sont libérées très anciennement de la tutelle anglaise, et sont pratiquement de peuplement européen, grâce à une immigration massive qui s'est accompagnée du transfert de compétences et de techniques industrielles ...
En excluant ces cas particuliers, l'exemple principalement de l'Inde ou de Maurice laisse également apparaître que l'Angleterre a su laisser ces colonies mieux que nous, sans apparition de troubles après son départ. Mais il est difficile d'ignorer la part d'hommes exceptionnels tel Ghandi ou Nérou dans cette situation historique. L'histoire du Sénégal de Léopold Sedar Senghor est tout aussi exceptionnel ... une ancienne colonie française qui a connu la démocratie depuis son indépendance (à quelques incidents près puisqu'un certain nombre d'opposants politiques sont morts dans les prisons sénégalaises sous la présidence de Senghor) ... L'influence de grands hommes dans une transition tranquille de l'indépendance vers la démocratie me semble fondamentale.
A l'inverse, les anciennes colonies anglaises d'Afrique (Rhodésie, Kénya ...) connaissent encore aujourd'hui une transition vers la démocratie tout aussi difficile que les anciennes colonies françaises d'Afrique ... De même, Madagascar, en coupant toutes relations avec la France sous Didier Ratsiraka pour se rapprocher de l'URSS, n'a pas échappé aux séquelles du colonialisme ... Seules quelques anciennes colonies d'Afrique, où un grand homme politique disposant d'une grande légitimité et qui a su privilégier le bien de son pays libéré et non son seul intérêt financier, ont pu connaître l'implantation d'une véritable démocratie.
Les français ou les anglais sont-ils responsables de l'incurie des dirigeants qui ont pris le pouvoir dans leurs anciennes colonies ? Sont-ils responsables du fait qu'une classe politique n'aie pas su maintenir une démocratie après leur départ ? Je crains que cela ne soit pas possible. Pourquoi des personnes se transforment-elles en dictateurs une fois arrivées au pouvoir, et pas les autres ? De la même manière que dans le monde de l'entreprise, pour quelles raisons de bons exécutants font-il de mauvais managers ? Le pouvoir corrompt le plus souvent. Rares sont les personnes insensibles à l'attrait du pouvoir et de la richesse.
Saucratès
Ecrits précédents sur le même sujet :
0. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/05/19/sur-l-esclavage-et-ses-liaisons-avec-le-développement.html
1. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2008/05/23/sur-le-colonialisme.html