[Redite] La nuit à Paris, les Brigades de Mimes reviennent en force !

Publié le 11 décembre 2016 par H16

Billet paru initialement le 12.12.2014

En 2010, Paris introduisait des brigades de mimes et de clowns (oui, vous avez bien lu). En 2014, le constat que je dressais des mesures entreprises n’était guère avenant. En deux années supplémentaires de gestion par l’équipe de Hidalgo, que de chemin parcouru pour la Ville Lumière ! Rats, bouchons, pollution, migrants, insécurité galopante, effondrement touristique, tous les voyants sont au vert pour la maire dogmatique, perdue dans la certitude de la justesse de ses décisions. Paris continuera-t-elle à fluctuat, ou, sous les géniales idées hidalguesques, mergitur une fois pour toutes ? À vous de juger.


Il y a quatre ans, Bertrand Delanoë, le maire d’alors de Paris, lançait en fanfare les États Généraux de la Nuit. Son but était à l’époque de trouver une solution pour faire vivre harmonieusement les Parisiens du jour avec ceux de la nuit, ceux qui se lèvent tôt pour travailler, et ceux qui boivent, chantent, et se couchent tard. À l’époque déjà, j’avais noté, assez consterné, les solutions mises en place. Heureusement, Anne Hidalgo, la remplaçante de Bertrand, va mettre à tout ça un petit coup de booster (ou de bambou, selon le point de vue).

Avant d’aller plus loin, il est assez impératif de bien resituer le contexte. Dans un vibrant appel à la cohabitation pacifique des fêtards et des riverains s’étaient donc ouverts en novembre 2010 les États Généraux de la Nuit auxquels on fit participer une psychosociologue spécialiste des mobilités nocturnes, un philosophe, un médecin urgentiste, et le président de SOS Racisme parce que … heu, parce que bon les fêtes nocturnes à Paris ne doivent pas être racistes, je suppose. Ah oui, et aussi, en apparition rapide, le président de la Chambre syndicale des cabarets et discothèques, dont les activités auraient – dit-on – un lien avec le sujet.

Si on peut comprendre l’utilité d’un médecin urgentiste dans ce patchwork rigolo, on reste interdit devant la présence à l’époque d’une psychosociologue spécialiste des mobilités nocturnes, d’un philosophe ou le représentant du commerce équitable de bons sentiments anti-racistes. On regrette d’ailleurs l’absence d’un plâtrier ou d’un sexeur de bigorneaux qui auraient sans aucun doute donné un authentique cachet de n’importe quoi musclé à ce panel déjà fort bien membré.

En définitive et comme souvent en France, cette montagne grandiloquente avait accouché d’une souris nanoscopique avec, tout de même, l’idée géniale de faire intervenir des brigades de mimes chargées de semer le silence, ainsi qu’une saine consternation chez ceux qui paient pour ces conneries. L’année qui suivit fut quand même l’occasion pour certains de savoir si ces mêmes mimes couinent lorsqu’on les cogne.

Moyennant quoi, nous voilà quatre ans plus tard, et, à la faveur du changement de tête à la municipalité, ce qui devait n’être qu’une amusante péripétie se mue progressivement en institution au nom ronflant : le Conseil parisien de la nuit vient de naître.

Bien sûr, ce Conseil ne pourrait pas survivre s’il n’était immédiatement emplâtré de formalisme qui prendra la forme de cinq collèges, qui représenteront les institutions (qui ont fait jusqu’à présent tant de bien à la Ville Lumière), les Conseils généraux (parce que, parce que bon, voilà, les Conseils généraux, quoi), les associations de riverains, d’étudiants, de médiation, lucratives sans but (les « usual suspects »), les organismes dédiés à la fête à Paris la grève à Paris des trucs et des machins en rapport (comme la RATP ou Bruitparif) et un petit paquet de personnes hétéroclites mais qualifiées (forcément qualifiées). Cette liste à la Prévert ne doit pas vous effaroucher. C’est, finalement, la même déclinaison, en version turbo, de ce qu’on trouvait dans les précédents États Généraux de novembre 2010.

Quant à la mairie, au milieu de tout ça, elle se contentera de servir d’intermédiaire pour permettre aux uns et aux autres de papoter entre eux (avec ou sans brigade de mimes pour transmettre les messages, la question n’est pas tranchée). Parce que, comprenez-vous, comme l’explique l’article du Figaro, (je cite) :

Le maire de Paris a mis en exergue le rôle de « médiateur », de « conciliateur » qu’elle entendait jouer, entre « ceux qui veulent faire la fête » et « ceux qui veulent dormir », et qui sont « d’ailleurs souvent les mêmes. »

Oui, vous avez bien lu : l’analyse du Bulotron 2000 en fonction dans le bureau du Maire de Paris est formelle : ceux qui font le bordel la nuit sont souvent ceux qui veulent dormir. Sapristi. Il serait temps d’en prendre conscience pour qu’enfin, leur condition psychiatrique soit reconnue et qu’on passe à autre chose à base de neuroleptiques puissants.

Un malheur n’arrivant jamais seul et les abrutis volant souvent (par mesure de précaution, sans doute) en escadrille, Bruno Julliard est de la partie, puisqu’il souligne « la spécificité de la capitale, beaucoup plus petite et dense que Berlin ou Londres ».

S’il apparaît exact que la densité d’habitants est supérieure à Paris qu’à Londres ou Berlin (dans un rapport de 4 à 5, en fait), on comprend cependant très mal pourquoi ce qui ne posait pas de problèmes en 1970 ou en 1980 devient subitement problématique en 2014, d’autant que cette fumeuse densité utilisée par Julliard pour passer, encore une fois et avec brio, pour une andouille, n’a pas beaucoup varié depuis des décennies à Paris. Bref, le pauvret a mal calibré son Bulotron.

Mais rassurez-vous. Ces erreurs de paramétrages d’une machine complexe n’auront pas de conséquences graves : lorsqu’on voit l’agenda de ce Conseil, on sait que la partie est déjà gagnée, forcément, puisqu’il va devoir réfléchir à de nouveaux espaces pour les nuits à Paris, ce qui, une fois l’aspect fumigène gentiment évaporé, ne manquera certainement ni de charme ni d’imagination (et pour le côté spontané qui va généralement avec la notion de fête, on repassera, mais la paix sociale est à ce prix). Bien évidemment, tout ce délire festif ne pourrait être citoyen sans inclure les inévitables pilules de bonheur socialiste, sous la forme de Préventex 200, de Discriminafon 325, de Mobilys 500 et de Tagueulcémagique™ en suppositoires.

Concrètement, cela se traduira via une posologie au moins mensuelle par d’abondantes démarches pour :

  • prévenir les conduites à risques (faire la fête sans débordement, avec distribution d’alcootests et de préservatifs, je suppose),
  • favoriser les mobilités nocturnes, qui est une expression alambiquée pour camoufler la triste réalité de transports en commun parisiens inexistants ou dangereux passé minuit, et de taxis de plus en plus compliqués à dégotter,
  • encadrer le travail de la nuit, parce que trop de liberté tuant la liberté, rien de tel qu’un petit code et de petites règlementations pour aider tout ça, mais si, mais si,
  • et promouvoir malgré tout la vie nocturne, notamment auprès des touristes qui ont une chance de ne pas savoir ce qu’elle recouvre en vrai et donc, de dépenser leurs devises bien vite avant de se les faire dérober.

Rien qu’à la lecture de ce programme, on se sent tout revigoré et l’idée s’impose que les brigades de mimes devraient peut-être intervenir lourdement au sein de l’équipe municipale. Une bataille de mimes contre des clowns serait même probablement très touristique.

En tout cas, pas de doute : après avoir englué les commerces dans des règles débiles, après avoir pourchassé les tenanciers de bars, de discothèques, de cercles de jeu, après avoir fait fuir les banlieusards automobilistes en transformant la circulation parisienne en enfer, les édiles se sont progressivement rendus compte que, peut-être, ils étaient en train de saboter ce qui donnait son charme à la Ville Lumière qui se rapproche chaque jour un peu plus d’une Ville Dortoir, d’un gros village mou, aux vieilles pierres pittoresques mais au rythme savamment cadencé, et si paisible qu’on peut y mourir sagement d’endormissement.

Dès lors, il est franchement amusant de constater l’ampleur du travail déployé par l’actuelle équipe municipale pour tenter de faire retrouver son lustre d’antan à une ville qui fut, jadis, considérée comme un des hauts lieux mondiaux de la fête et de la vie nocturne. Il faut en effet mettre ces tentatives et le lancement du Conseil de la Nuit en face des travaux dogmatiques lancés depuis plus d’une décennie à Paris par les mêmes équipes, efforts tous concentrés dans le même sens : faire fuir le pauvre, le petit peuple et les vilains automobilistes pollueurs de la capitale, afin de le remplacer par cette population bien plus socialo-compatible du bobo parisien, du cadre moyen supérieur à la mode, et des familles bio-compatibles qui n’hésiteront pas à pédaler du Vélib ou utiliser les superbes bus au gaz naturel ou à l’électricité pour se déplacer dans une capitale qu’ils souhaitent ardemment vitrifier quelque part à la fin du vingtième siècle (après désinfection populaire cela va de soi).

À l’aune de ce but sur lequel les élus sont toujours ouvertement engagés, on comprend donc que les petites attentions lancées en direction de la vie festive et nocturne parisienne ne sont que des petits airs de flutiau lancés pour calmer les esprits. La ville, tenue d’une main de fer dans un gant de spandex aux couleurs d’arc-en-ciel, continuera donc sa lente descente vers une muséification terminale.

Bonne nuit.

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