[Direct-to-vidéo] Mel & Jenny, premier amour et identité sexuelle

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

Sorti directement en DVD, le 15 octobre 2016, chez l’éditeur Outplay, Mel & Jenny de Nana Neul, film lunaire possédant la sensibilité particulière des premiers émois, explore la découverte et l’acceptation, parfois difficile, de sa sexualité avec une justesse rarement égalé entre violence et exaltation du sentiment amoureux.

Mel (Anjorka Strechel) est un jeune femme introvertie. Dans son milieu familial, père et frère, semble ignorer son homosexualité. Elle ne rêve que de se libérer d’un carcan qu’elle juge oppressant, les deux hommes s’inquiétant qu’elle reste célibataire. Lors d’une sortie solitaire en pub, elle fait la connaissance de la solaire Jenny (Lucie Hollmann) et en tombe éperdument amoureuse. Mais ne sachant pas comment se révéler, identifiée comme un homme par celle-ci, qui se trompe par ses allures de garçons manqué, elle s’invente une nouvelle identité dans laquelle elle s’épanouit, Miguel, un jeune immigré portugais.

Jenny (Lucie Hollmann) et Mel (Anjorka Strechel)

A l’image de La vie d’Adèle, l’histoire d’amour qu’offre Mel & Jenny est universelle, il ne s’agit pas d’un film de niche sur l’homosexualité entre femmes. Sous nos yeux se déroule un drame ordinaire, celui d’un premier amour intense voué à être éphémère mais qui marquera longtemps ses protagonistes par sa force et sa vivacité, par le lieu d’expérimentations sensorielles et psychiques qu’il incarne. D’un côté, Mel cherche une façon d’assumer sa sexualité, inquiète de la réception de celle-ci par sa famille. De l’autre, Jenny fait pour la première fois l’expérience de la prégnance machiste d’une société dont son petit-ami est le plus pur produit de beaufitude. A leur niveau, à l’aube de leur vie d’adulte, les deux femmes subissent deux carcans, celui de la famille et des attentes mal formulées, et celui de la place de la femme au sein du couple dans nos sociétés patriarcales, souvent simple faire-valoir de l’ego testostéroné de mâle en mal de reconnaissance. Toutes les deux semblent subirent leur vie, l’habiter en spectatrice, parfois dégoûtées et honteuses du spectacle. Ce rejet d’une tradition castratrice, bien ancré chez Mel, dont la révolte sourde effleure à chaque instant face à son frère emprisonné dans un simulacre de couple avec sa compagne qu’il a mit enceinte mais qu’il n’aime pas vraiment, n’est pas encore l’objet d’un rejet total de Jenny qui en souffre, visiblement, sans jamais sans plaindre. Comme si le comportement machiste de son copain était naturel. Sa meilleure amie, totalement aliénée, est d’ailleurs la meilleure alliée de ce dernier. C’est là qu’est le sel de Mel & Jenny, les deux héroïnes expérimentent surtout un amour romanesque épuré, débarrassé de la retenue et de l’inquiétude que suscite le regard d’autrui.

Mel (Anjorka Strechel) et Jenny (Lucie Hollmann)

Faisant reposer l’idylle sur un mensonge, Nana Neul permet que l’intérêt du spectateur se porte sur la romance en premier lieu. Elle permet aussi à ses personnages de tomber amoureux d’une âme avant que d’être attiré par un corps. Il est par ailleurs fort intéressant de s’appesantir sur la nature d’une mensonge qui n’en est pas vraiment un. Si Mel ment sur son état-civil, le personnage qu’elle se crée est un vrai reflet de son soi profond. C’est avec une honnêteté certaine qu’elle se présente en tant qu’homme. Bien que subsiste à juste titre un doute sur son ressenti intime. Peut-être préfère-t-elle se définir ainsi pour pallier au regard désapprobateur de la société envers l’amour lesbien ? Reste donc, si Mel & Jenny est intelligemment ambigu sur cette question, la description sensible de la coercition morale sur les cœurs et les corps qui finit par mettre à mal même la perception que l’on a de soi-même. Âpre, le personnage interprété par Anjorka Strechel s’illumine lorsque s’évanouissent, le temps de quelques instants magiques auprès de l’être aimé, les questions incessantes. Cette introspection respectueuse entre les deux amoureuses dépassent les frontières genrées, plaçant leur relation sous des auspices lumineux, les écartant temporairement des tumultes de sa propre acceptation. Drame poignant, Mel & Jenny, est une histoire d’amour dont la trajectoire est celle d’une inaccessible étoile, voué à l’échec par des forces supérieures, telle une tragédie grecque, opérant comme un rite de passage à l’âge adulte.

Mel (Anjorka Strechel) et Jenny (Lucie Hollmann)

Traitant avec délicatesse d’un sujet dont les racines et les ramifications sont souvent plus subtiles et traîtresses qu’il n’y paraît, Mel & Jenny, récompensé par de nombreux prix, notamment meilleur film à l’Iris Prize de Cardiff, possède un charme certain dont la langueur mélancolique n’est pas étrangère. Seul film de la réalisatrice, il est aussi le symptôme de la difficulté de distribuer des films indépendants aux sujets forts. Sur le même thème, nous avions chroniqué, il y a quelque temps Le pantin, qui lui aussi imbriquent immigration et identité de genre. Les deux films se répondent sur des registres radicalement différents. Et nous ne pouvons que vous conseillez d’y jeter un œil.

Boeringer Rémy

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