Supprimer les notes et le redoublement : est-ce vraiment le débat?

Publié le 11 décembre 2014 par Lagafr

Après une pause de quelques mois, me voici de retour avec une affirmation qui va surprendre plus d’un lecteur habitué de ce blog. Oui, je l’affirme, il ne faut pas supprimer les notes, ni le redoublement, et je l’affirme alors même que le système d’éducation français est l’un des plus anxiogènes au sein des pays de l’OCDE et que les études internationales (dont celles de l’OCDE) démontrent que, dans la plupart des cas, le redoublement est inefficace pour gérer les difficultés scolaires.

À travers cette affirmation volontairement provocatrice, je veux plutôt m’insurger contre la vulgarisation actuelle des problématiques sur l’éducation. Ainsi, depuis quelques jours, enseignants, parents et  élèves donnent leur avis sur le bien-fondé de la suppression des notes à l’école primaire et au collège. On sent d’ailleurs poindre dans ce débat une véritable inquiétude si l’on supprime les notes: inquiétude des parents à l’idée de perdre un point de repère précieux qui leur permet de situer les performances de leur enfant sur une échelle de valeur ; inquiétude des enseignants qui craignent que l’absence de notes n’entame leur autorité. Pourtant,  à aucun moment  le rapport de concertation sur le sujet ne préconise la suppression pure et simple des notes alors  que le débat public des dernières semaines ne tourne qu’autour de cette question  récurrente « êtes-vous pour ou contre les notes ?».

Cette question n’a absolument rien à voir avec l’idée initiale qui  était de faire évoluer le système de notation en supprimant les notes chiffrées allant de 1 à 20 pour les remplacer soit par des lettres allant de A à F, comme cela existe déjà aux États-Unis, soit par des chiffres allant de 1 à 6 comme en Allemagne. L’objectif est donc de rendre le système de notation moins anxiogène et stigmatisant qu’il ne l’est aujourd’hui. Alors pourquoi créer une telle psychose et lancer un débat stérile sur une mesure qui n’est même pas si révolutionnaire que cela ; après tout,  Edgard Faure, alors ministre de l’éducation, n’avait-il pas lui-même instauré en 1968 le remplacement de la notation de 0 à 20 par une notation allant de A à E dans le primaire et aussi le secondaire ? Cette expérience avait fait long feu car très vite les notes entre « A » et « E »   s’étaient transformées en une échelle allant de « A++ » à « E–», en somme à un retour au système précédent mais avec des lettres au lieu des chiffres. Tout ça pour ça !

Aujourd’hui, le problème du débat sur l’éducation est qu’on ne pose pas les bonnes questions, ou du moins qu’on rend le débat le plus clivant possible. La même situation se produit sur le redoublement : depuis quelques mois, on argumente à tort et à travers sur la nécessité de supprimer le redoublement pour régler les problèmes du système d’éducation. Pourtant, supprimer le redoublement ne réglera jamais les problèmes d’un système d’éducation si on ne met pas en place des solutions efficaces pour gérer autrement la difficulté des élèves. Le cas de la France illustre d’ailleurs parfaitement la question du redoublement puisque le pourcentage d’élèves de 15 ans ayant redoublé au moins une fois a diminué entre 2003 et 2012 pour passer de 38 % à 29 %, et pourtant, sur cette même période, l’échec scolaire a continué d’augmenter significativement. La réflexion doit donc se focaliser sur la recherche d’alternatives au redoublement comme d’ailleurs l’Association de parents d’élèves de l’enseignement libre (APEL)  le proposait en 2012. Au lieu de cela, le débat oppose depuis plusieurs mois ceux qui veulent supprimer le redoublement sans proposer d’autre solution, à ceux qui veulent garder le système actuel estimant qu’il reste le mieux adapté pour lutter contre l’échec scolaire.

Des  exemples de ce type sont nombreux. Prenons le débat sur les rythmes scolaires, qui s’est focalisé sur la question du périscolaire pendant deux ans. Durant cette période, on a donné l’impression aux parents que l’amélioration du système d’éducation dépendrait de la qualité des activités périscolaires qui seront proposés par les municipalités. Certes, je ne nie pas que le périscolaire pose de sérieux problèmes organisationnels dans certaines communes. Mais il faut bien admettre que deux ans ont été perdus à focaliser le débat sur cette question sans ouvrir une réflexion sur la meilleure manière d’organiser l’apprentissage pour tirer profit de cette matinée supplémentaire d’école. Au final, une des conséquences de cette mauvaise communication est que, selon un sondage réalisé par la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (Peep), 67 % des parents sondés estiment que les nouveaux rythmes scolaires ne permettent pas de mieux réussir à l’école. 

En somme, le débat public perd aujourd’hui en lisibilité car les questions d’éducation sont toutes traitées individuellement et séquentiellement, sans prendre de la hauteur pour tenter d’identifier le lien qui les unit toutes entre elles. Pourtant, les statistiques de l’OCDE montrent que la plupart des pays qui ont réussi leur réforme éducative ces dernières années ont focalisé toutes leurs actions sur un objectif  unique, clairement défini et transparent pour la population.  Aujourd’hui, la France devrait suivre la même voie et se concentrer sur un seul objectif, qui doit être d’inverser la courbe de l’échec scolaire dans les prochaines années, tant celui-ci a augmenté depuis bientôt 10 ans. Si l’ensemble des réformes sont reliés à cet objectif, elles donneront corps à un débat plus approfondi, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd‘hui.

Ainsi, pour revenir sur la question des notes, un système de notation moins détaillé et plus axé sur la maitrise des compétences peut aider à créer de la motivation chez les élèves et, à terme, améliorer leurs performances.  Parallèlement, l’utilisation d’une matinée d’école supplémentaire pour renforcer l’apprentissage des fondamentaux et individualiser davantage l’enseignement peut avoir un impact positif, réduire l’échec scolaire et, au final, servir à diminuer le redoublement.

Cependant, le succès de ces mesures n’est pas garanti car, pour lutter activement contre l’échec scolaire, il faut avant tout des enseignants bien formés sur le volet pédagogique de leur métier. Ceci met en avant l’importance de la formation initiale et continue des enseignants, ainsi qu’une politique d’éducation efficace à même d’attirer des enseignants expérimentés à travailler dans les zones prioritaires. Or, la réforme des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) a-t-elle vraiment changé la façon dont on forme les étudiants au métier d’enseignant? Quels sont les plans qui vont être annoncés pour renforcer l’accès à la formation continue des enseignants déjà en exercice ? Les primes pour les enseignants en zone prioritaire ont-elles exercé un effet positif pour inciter certains d’entre eux  à choisir de travailler dans ces zones ?

Toutes ces questions qui peuvent aider à atteindre l’objectif, personne ne les pose aujourd’hui. Sûrement car elles nécessitent d’être traitées en profondeur et qu’elles sont moins susceptibles de créer le buzz médiatique qu’un sujet sur la suppression des notes. Le problème actuel est certainement celui-là. Il serait pourtant souhaitable de recentrer le débat sur ces questions, pour ne pas faire avec la suppression des notes la même erreur qui a été commise sur les rythmes scolaires : à savoir, se rendre compte deux ans après qu’on en a beaucoup trop parlé.