17 août 1914 : Fier d’avoir inventé l’Union sacrée

Publié le 17 août 2014 par Billiskaya

" Il faudrait un terme qui invite fortement au rassemblement... " Je me rappelle encore mon patron Raymond Poincaré, la plume à la main, rédigeant avec mon aide, ce qui allait devenir son fameux discours à la Chambre du 4 août dernier. Il souhaitait, en ce soir du 3 août, assis à son bureau de l'Elysée, que toutes les forces du pays - politiques, syndicales, spirituelles - oublient leurs querelles et se regroupent dans un même effort de défense de notre patrie menacée.

Je lui suggérai alors le mot " union ". " Bof " me répondit-il, " c'est un peu synonyme de rassemblement. Non, non, Olivier, il faut imaginer quelque chose de plus fort, de plus solennel. Un terme peut-être encore peu employé mais qui aura ensuite une résonance extraordinaire... ".

Je passai en revue dans ma tête tous les vocables pouvant correspondre peu ou prou à l'idée de Poincaré : rassemblement, union, regroupement, ralliement, rencontre, fusion, alliance, entente... ? Aucun ne semblait devoir prendre sa place dans ce futur et très attendu discours qui allait être lu par Viviani aux parlementaires.

A un moment - je ne sais pourquoi - je me suis rappelé le tout nouvel opéra " Parsifal " que l'on avait enfin pu voir à Paris, début janvier, sous la direction d'André Messager. Cette ambiance moyenâgeuse et pieuse de chevaliers réunis autour du Graal, m'a conduit, d'un coup, à la formule magique "union sacrée ". J'hésitai un instant pourtant avant de la proposer à Poincaré. Peut-être allait-il la trouver trop peu laïque à son goût ? Ou excessivement solennelle voire pompeuse ?

Finalement, je lâchai le terme, d'une voix peu assurée. Poincaré m'a alors fixé avec des yeux beaucoup plus expressifs que d'habitude : " Eh bien voilà, " Union sacrée " , c'est le mot qu'il nous faut. Cela donne donc la phrase :

Dans la guerre qui s'engage, la France [...] sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l'ennemi l'Union sacrée.

C'est fort, très fort, indiscutablement. Bravo Olivier ! Je savais que je pouvais compter sur votre imagination".

Je n'osai lui dire que le vocable m'était venu en pensant à... un opéra allemand !

Dix jours après, en lisant la presse française et étrangère, je m'aperçois que le terme "Union sacrée " produit son petit effet. Il est repris un peu partout, par les socialistes, par la droite républicaine, par les radicaux... En Angleterre ou au États-unis, les mots " Union sacrée " sont cités tels quels, en français dans le texte, autant pour décrire notre situation politique nationale qu'en faisant référence à un éventuel contexte plus local.

Seuls les Allemands s'en tiennent, évidemment, pour décrire le nécessaire rassemblement des partis autour du Kaiser et du chancelier Bethmann, à une formule de la langue de Goethe : " Burgfrieden " disent-ils. Cela veut dire " paix civile ", en français.

" Burgfrieden " ? Force est de reconnaître que c'est bien moins percutant que notre "Union sacrée " ! Dans la guerre du verbe, je suis sûr que nous sommes en train de gagner une bataille !

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