Retour sur les maths et leurs dérapages incontrôlés

Publié le 28 septembre 2015 par Wanderer

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L’avalanche de commentaires plutôt négatifs à la suite du dossier consacré aux maths et à leurs détournements suggère quelques remarques (l’article est payant, mais l’un des liens hypertextes de ce billet pointe vers un site de téléchargement…).
Reprenons les principaux «arguments».

Vous ne parlez pas de maths !
Dans l’introduction, on commençait par évoquer une erreur d’unité de la Nasa qui n’est pas à proprement parlé une erreur de maths en effet. C’était une manière progressive d’arriver à des choses plus complexes en finance, justice, qualité des travaux publiés dans des revues scientifiques (que personne n’a relevées, snif, snif).

L’autre critique pointe le fait que nous ne parlerions pas de maths mais de modèles. La frontière est tout de même mince car dans les exemples cités (modèles de prévision de récidive, d’évaluation de la valeur ajoutée des profs, de valeur d’un portefeuille ou de risque d’un produit), des outils statistiques, parfois pointus, sont évidemment nécessaires pour élaborer les modèles.

Régression ou copules gaussiens sont bien des maths. L’exemple d’Hardy et de la théorie des nombres appliquée dans les systèmes de chiffrement témoigne aussi des liens, parfois imprévus, entre maths et applications.
Ajoutons que les auteurs de ces modèles sont bien souvent issus des meilleurs cursus de…maths (certes parfois au grand dam des puristes !).

Ce n’est pas un dérapage des maths mais un dérapage des utilisateurs
En effet une erreur classique qui cause les dérapages est d’oublier les limites et hypothèses de ces théorèmes. Il aurait été fautif pour nous de l’omettre. C’est pourquoi par quatre fois des spécialistes le disent (contrairement à ce que laissent entendre les commentaires).

Dans la même veine, l’argument peut être reformulé de la façon suivante : on ne demande pas à un armurier de contrôler l’usage que l’on fera de son revolver. C’est la fameuse fable du marchand de couteau ou de marteau…qui n’est pas responsable si son outil tue quelqu’un.

En rappelant le cas de Hardy, mathématicien pur dont les travaux ont servi aux militaires, nous pensions couper court à cette légende (en fait, c’est dur de trouver un progrès en maths qui n’ait pas d’applications en sécurité ou défense (balistique, imagerie, radar, chiffrement…) !).
Une telle attitude d’irresponsabilité n’est plus tenable si tant est qu’elle l’ait été un jour. Sans aller jusqu’à évoquer l’anniversaire d’Hiroshima et ces « salopards » de physiciens (expression venant du physicien américain Kenneth Bainbridge), il est clair que les chercheurs ne sont plus dans leur tour d’ivoire, vêtus d’une blouse blanche immaculée.
Que devient par exemple cette fable lorsqu’un chercheur crée une entreprise ou conseille une société ? Difficile de penser qu’il a la même neutralité que lorsqu’il était seulement dans son labo, non ?
Il y a aussi ces bataillons d’étudiants en maths qui vont vers la finance ou l’assurance ou le désormais fameux Big data. Est-ce qu’ils ne brouillent pas un peu plus les frontières entre découverte et usage de ces découvertes ? Et leurs profs sont obligés de suivre en s’informant sur les applications pour alimenter leurs cours, connaître les débouchés, conseiller des parcours…

Récemment, les mathématiciens ont demandé à évaluer leur impact économique en France. 15 % du PIB ! Là on sort du simple marchand de couteau, non ? Un tel impact implique une responsabilité, ou en tous cas une absence de recours à l’argument de la neutralité en cas de problème.

En fait l’argument du couteau revient à dire que lorsque les maths marchent ou font du bien à la société, il faudrait les saluer et lorsque des critiques sont émises, alors les maths n’y seraient pour rien…

Une citation de Jean-Pierre Kahane le dit bien. En somme, si les matheux trouvent qu’ils font des choses intéressantes, alors il est normal que ça intéresse des gens.
Education, formation, alerte, engagement… c’est sur ce terrain que l’on attend les hommes de l’art. Pas dans le déni de réalité.

Et l’info ?
Curieusement ce point n’est pas souligné dans les commentaires. En toute modestie, nous avons fait état de choses méconnues : l’usage des statistiques dans les tribunaux, les problèmes statistiques de l’analyse ADN, l’arrivée de logiciels de prévision de la récidive en France, des manifs contre la tyrannie de l’évaluation…

Et en plus, on liste quelques «solutions». Car tout le monde ne fait pas comme si il n’y avait pas de problèmes ou de questions (et des matheux ont aimé l’article !). Bien sûr l’étiquette «maths» est réductrice, putassière, etc… , mais si elle permet d’alerter le lecteur sur des abus, des défaillances, des risques, est-ce si grave ? Sans compter qu’avec l’essor du Big data, comme nous l’esquissons en conclusion, les «problèmes» vont se multiplier.

Il était pour nous évident que nous parlions finalement moins des maths, que des mathématiciens au sens très large. Bien sûr que l’addition n’est pas coupable ! Nous pensions, à tort, qu’il n’était pas nécessaire de l’écrire noir sur blanc.

Enfin,  je suis ouvert aux commentaires sur d’éventuelles erreurs !*

*Par exemple, un lecteur a signalé que dans les CDO la technique ne fait pas «fi des corrélations». Elles les rend moins complexes, réduites à un paramètre. Ce qui m’ennuie c’est que je le savais mais que j’ai voulu trop simplifier. D’autres choses ?