La « bonne histoire » Pistorius ou le malaise journalistique

Publié le 26 février 2013 par Kamizole

Les photographes devaient quitter la salle d’audience à l’arrivée du juge (©Themba Hadebe-AP)

Oscar Pistorius a été libéré sous caution vendredi, mais la gueule de bois journalistique est toujours là. A la hauteur du tourbillon médiatique qui pendant une dizaine de jours a emporté l’Afrique du Sud, et une partie des unes des journaux du monde entier.

Un malaise qui se nourrit, à froid, de plusieurs interrogations :

Fallait-il autant couvrir ce fait divers ?

Il y avait tous ces plateaux TV improvisés sur le trottoir du tribunal d’instance de Pretoria. Des journalistes présents même dès 6 heures du matin, quitte à dormir dans leurs voitures, pour tenter d’entrer dans la salle d’audience sans pour autant éviter la bousculade (vidéo ci-dessous). Certains d’entre eux ont eu le sentiment d’être des vautours scrutant les larmes d’Oscar Pistorius et celles des membres de sa famille.

La couverture du meurtre de Reeva Steenkamp, a été aussi importante, voire peut-être plus, que celle de la tuerie de Marikana en août dernier au cours de laquelle la police sud-africaine avait abattu 34 mineurs en grève pour réclamer une hausse de salaire.

Cette fois-ci, c’était un fait divers. Un genre journalistique dont la valeur informative est en soi une interrogation. Mais celui-ci possédait tous les ingrédients de la « bonne histoire », du produit qui se vend bien.

Il est célèbre, il est sportif, il est riche. Elle était belle, elle devenait célèbre. De l’amour. Du sang. La mort. En plus, le jour de la Saint-Valentin. Digne d’un « super film » dans lequel le couple est même rebaptisé après coup les « Beckam sud-africains ».

Bousculade à l’entrée du tribunal

Un beau cadeau pour la presse people et sensationnaliste, mais que penser de tous ces articles dans la presse dite « sérieuse » et de « qualité » ? Les correspondants du New York Times et du Guardian sont parmi les premiers à dégainer. Le cercle est vicieux. On vous dit ensuite que vous êtes « à la remorque de la presse mondiale ».

Il y a bien quelques rares papiers d’éclairage sur la société sud-africaine (le handicap en prison, la perception de l’insécurité…) qui tentent de prendre un peu de hauteur. Quitte parfois à faire des comparaisons improbables comme cet article qui évoque le procès du meurtre de Steve Biko, un militant anti-apartheid. Mais finalement, ils participent aussi à la mise sur l’agenda médiatique de cet « événement ».

Cette couverture frôle aussi l’overdose car elle peut désormais être alimentée à la minute près grâce à l’utilisation par de nombreux journalistes, pendant et en dehors des audiences, du réseau social Twitter. Plus ils twittaient sur ce fait divers, plus ils attiraient des abonnés, et plus ils gagnaient en popularité personnelle et en influence dans la couverture médiatique.

Celle-ci est également rythmée par un « feuilletonnage » qui pousse à trouver chaque jour un événement à mettre en une pour maintenir en haleine le téléspectateur, l’auditeur, le lecteur.

Ces « actualités » ne sont pas inventées (l’enquêteur en chef de la police dessaisi du dossier, le frère d’Oscar Pistorius inculpé pour homicide…), mais prennent une place souvent disproportionnées dans les journaux au regard des autres informations de la journée dans le pays et le reste du monde.

Le siège des journalistes (©AP)

Fallait-il être plus prudent ?

Prenons deux exemples. Tout d’abord, cette fameuse batte de cricket ensanglantée qui selon les « informations » du 17 février du journal dominical sud-africain City Press, aurait pu servir à fracasser la tête de Reeva Steenkamp, retrouvée « écrasée ».

Une circonstance alimentant l’horreur du crime et la présomption de culpabilité qui grâce à l’accélération de la diffusion de l’information (chaînes d’information en continu, Twitter) s’est vite retrouvée à la une de la presse mondiale (quitte parfois à évoquer à la place une batte de…baseball). Cet élément n’a pourtant pour l’instant pas été confirmé ou infirmé puisque les conclusions de l’autopsie n’ont pas encore été rendues publiques.

Ces fameux « stéroïdes » ensuite, retrouvés au domicile du champion paralympique. Dans la foulée s’est propagée la théorie selon laquelle Oscar Pistorius aurait tué sa compagne à cause de ces produits qui l’auraient « rendu fou ». Aucun résultat d’analyse de ces substances n’a pourtant encore été publié.

La présomption d’innocence est aussi une notion qui est apparue à géométrie variable. Les spéculations sur la culpabilité d’Oscar Pistorius allaient bon train dans les rangs des journalistes, à défaut parfois d’une véritable analyse juridique du dossier selon cet expert.

Le risque ? Juger trop hâtivement. Le président du tribunal l’a pourtant encore répété vendredi : « les pièces du puzzle ne sont sans doute pas encore toutes devant mes yeux ». Il manque par exemple les conclusions définitives du rapport balistique, l’analyse des téléphones, les interviews des proches.

La sœur d’Oscar Pistorius (©Greg Nicolson-Daily Maverick)

Fallait-il prendre garde au « storytelling » ?

« La chute d’un héros », « la descente aux enfers d’une icône ». Oscar Pistorius était donc un ange. Il est désormais un démon. Et pourtant, nous parlons de la même personne. Quelle a donc été la dose d’aveuglement journalistique avant ce drame ? L’athlète aimait pourtant déjà les armes, il avait déjà été mêlé à des incidents.

Raconter aussi cela, c’était risquer sans doute de rendre trop complexe la « belle histoire », et surtout de l’entacher. Oscar Pistorius avait d’ailleurs tout intérêt à communiquer auprès des journalistes dans ce sens car cette image médiatique positive se monnayait ensuite auprès de sponsors avides d’accoler leur marque à un champion modèle admiré par le public. Souvenez-vous : le cycliste Lance Armstrong, le golfeur Tiger Woods.

L’entourage de l’athlète a d’ailleurs déjà mis sur pied une équipe de communicants chargée d’alimenter les journalistes en « informations » et de tenter de préserver du mieux possible l’image de leur client.

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