Légitime défense des policiers : faut-il tordre le droit ?

Publié le 30 novembre 2016 par Monthubert

Comme aux élections présidentielles de 2012, certains policiers revendiquent le droit d'utiliser leur arme sans avoir de comptes à rendre à la justice. Ce marronnier politico-policier frôle la démagogie, et pourtant, Bernard Cazeneuve a annoncé que les règles d'ouverture de feu par les forces de l'ordre seraient réexaminées.

Il semblerait que dans un rapport, l'INHESJ (Institut national des hautes études sur la sécurité et la justice) préconise d'aligner ces règles sur celles en vigueur dans la gendarmerie.
C'est-à-dire une réglementation basée sur une loi et un décret promulgués par le gouvernement de Vichy afin de permettre aux policiers et aux gendarmes de lutter contre la Résistance. Des textes qui se référaient d'ailleurs à un décret de 1903 et à une loi de 1798.

Il est quand même assez étonnant de chercher à régler un problème actuel en se basant sur des textes aussi anciens... Il sera donc, dans les prochaines semaines, demandé à nos élus d'autoriser les fonctionnaires de police à utiliser leur arme à l'identique des militaires de la gendarmerie. Autrement dit, les rétablir dans un droit qui leur avait été retiré à la Libération, et accordé de nouveau, provisoirement, durant la guerre d'Algérie.
Quel est ce droit ? Il est prévu dans l'article L. 2338-3 du code de la défense, lequel permet aux gendarmes de faire usage de leur arme lorsqu'ils sont victimes de violences ou menacés par des individus armés, ou lorsqu'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent, ou lorsque des individus tentent d'échapper à leur garde, ou encore pour immobiliser un véhicule.
Mais, sous l'impulsion de la CEDH, la Cour de cassation a ajouté une condition de taille : " l'absolue nécessité ". Pour qu'une atteinte à la vie soit justifiée, il faut que la décision d'ouvrir le feu soit absolument indispensable. Il ne doit pas exister d'autres possibilités, sauf risque réel et immédiat. Pas question, par exemple, de tirer sur un fuyard, qu'il soit à pied ou en voiture, sauf si celui-ci présente un réel danger et qu'il n'existe aucun autre moyen de le neutraliser (voir Saint-Aignan : le tir du gendarme en question). Cela ressemble comme deux gouttes d'eau aux conditions de la légitime défense ou, éventuellement, à l'état de nécessité, ou encore à ce nouvel article tarabiscoté du code pénal, le 122-4-1, créé il y a seulement quelques mois.

On peut donc dire que le fait d'aligner les policiers sur les gendarmes ne changerait pas grand-chose.

La mission Guyomar, instituée en 2013 à la demande du ministre de l'Intérieur de l'époque (C'était qui déjà ? Ah oui, Manuel Valls !) a d'ailleurs rappelé que le cadre légal de l'intervention, lorsqu'il y a atteinte à la vie, doit toujours être sous le contrôle du juge. C'est à lui de vérifier que le policier ou le gendarme qui a donné la mort a agi dans le cadre de la légalité. Ce n'est qu'ensuite, si ces règles n'ont pas été totalement respectées, ou s'il y a un doute, qu'il se penchera sur les circonstances de l'action. L'antagonisme vient de là. Le flic dit que le juge ne comprend rien au stress d'une situation dangereuse, tandis que ce dernier lui rétorque qu'il ne connait pas son code.

De tout ça, il résulte une chose : ce n'est pas demain que les policiers pourront utiliser leur arme sans avoir de compte à rendre à la justice - et c'est une bonne chose.

Car personne n'a évidemment envie de transformer nos policiers en justiciers. À la différence du soldat, le flic ne devrait pas avoir d'ennemis, ou alors un seul : le crime - et pas le criminel. Et pour procéder à son arrestation, il va prendre des risques. Des risques de terrain et des risques juridiques. C'est le job. Et, si la situation l'exige, il utilisera son arme - non pas pour tuer, mais pour neutraliser une personne dangereuse - dangereuse pour lui ou pour autrui. Et dans ces conditions, je crois qu'il n'y a pas un seul exemple d'une condamnation pénale.

Il est donc attristant que le gouvernement fasse mine de répondre favorablement à la demande des " policiers en colère ".
C'est un signe de fragilité, à l'image de la société. Une société qui dote ses gardiens de la paix d'armes de guerre.

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