Country, d'Antoine Jaccoud

Publié le 13 décembre 2016 par Francisrichard @francisrichard

En peinture, les images de Country seraient des scènes de genre, c'est-à-dire des scènes de la vie quotidienne, tout ce qu'il y a d'ordinaire, où des personnes typiques de l'époque sont figées sur la toile par l'artiste et sont comme des instantanés que ce dernier aurait capturés et transmis à destination des voyeurs.

En littérature, les mots de Country forment des histoires courtes sur le monde actuel, c'est-à-dire des histoires où des gens tout simples, mais représentatifs du temps, évoluent sous l'oeil aiguisé d'Antoine Jaccoud qui les croque jusqu'à la caricature, tout en laissant souvent au lecteur le soin d'imaginer ce qu'il ne lui dit pas.

Plusieurs des histoires ainsi recueillies ont un titre anglo-saxon. Sans le dire directement - il est plus subtil que ça -, l'auteur, à travers elles, s'en prend à la culture américaine, qu'il ne semble par porter dans son coeur. Le lecteur peut désapprouver, ou estimer qu'il exagère, mais, cette exagération devrait au moins le faire sourire, sinon rire.

Dans les cinq monologues country, les personnages, amateurs du genre, en ont le comportement grégaire, avec le sentiment d'être des rebelles, parce qu'ils montent harley, conduisent dodge, se sentent cow-boy ou anglicisent leurs noms, mais ils déchantent dès qu'ils traînent aux States leurs bottes en peau de serpent...

L'auteur envisage de recourir au crowdfunding pour ses funérailles. D'aucuns bénéficient de voyages low-cost, tandis que d'autres payent très cher leur passage. L'apprentissage du self-check-out dans les magasins a de quoi faire perdre son self-control. Les ongleries deviennent des nail bars. Les DJ prennent leur retraite à 30 ans.

L'auteur emploie la dérision pour déconstruire les idées reçues, le bonheur suisse qui n'est pas universellement partagé, le véganisme qui débilite les animaux, le racisme ordinaire sur fond de bonne conscience médicale, l'éducation de naguère, le pessimisme fondé sur des causes imaginaires, la démocratie directe et ses limites.

L'auteur éprouve de la tendresse lucide pour la famille de son chien à qui il rend visite, pour les angoissés du succès, pour ceux qui se manquent parce que s'est dressée la barrière des langues, pour le type du sex-shop qui perd la boule, pour un couple de voisins qui vieillissent mal ensemble, pour une femme qui se trouve moche.

Dans Country, Antoine Jaccoud est l'observateur aiguisé des moeurs contemporaines helvétiques qu'il dépeint avec une grande précision et sans fard, se mettant si bien à la place des personnages qu'il a choisis d'évoquer qu'il en adopte le vocabulaire et le phrasé familiers, voire populaires, et les rend encore plus vrais que nature.

Francis Richard

Country, Antoine Jaccoud, 112 pages, éditions d'autre part