Samuel Buckman était alors en pleine recherche d'une manière originale d'approcher les évènements dramatiques consécutifs à la fin de la Seconde guerre mondiale. Cet artiste, né en 1972, a réalisé trois oeuvres, la série Château d'eau, le Jouffu, et Limon que l'ont peut voir jusqu'au 23 avril 2017 au Musée d'Evreux dans une exposition temporaire intitulée Evreux année zéro.
Ces fragments courent aussi le long d'une cimaise qui souligne le parcours de cette exposition dont il est le commissaire.
Château d'eau, 2016, est constitué d'une série de onze aquarelles et tesson sur papier, dont sept sont accrochées dans la première pièce. Chaque morceau de faïence est prétexte à imaginer le plan d'un bâtiment dont il ne subsisterait presque rien, ou à l'inverse participant à une poétique de la Reconstruction.
C'est à l'été dernier que l'artiste avait lui-même brodé au point de croix Bec et ongles, avec un fil de coton rouge sur une toile de lin. Il rapporte les propos tenus par Martine Bergouignan, née à Evreux en 1936 dont l'expression souligne l'acharnement à résister avec les faibles moyens d'un oiseau. Au revers de la toile, d'innombrables fils rouges pendent de chacune des croix, telles des écorchures d'une peau attaquée par le dur du bec ou des ongles, le fil rouge étant symbolique de la circulation du sang, de l'énergie vitale.
Cette expression, Bec et ongles, appartient à la série des série des Verbatim constituant une collection de cartes que les visiteurs sont invités à emporter. Samuel a en effet autant glané de solides fragments que la légère parole des habitants. D'autant plus fragile qu'elle est amenée à s'évaporer si personne ne songe à la fixer pour l'éternité.
En 226 caractères (espaces compris) la broderie et les verbatim disent l'exode, l'adaptation à une vie de peu, le danger, la protection, la résistance, la reconstruction et le regret d'un monde à jamais évanoui. Ce sont des paroles d'enfants et le registre animalier y tient une place importante. A travers lui s'exprime l'instinct de protection et la douceur aussi dont ils ont été entourés.
Ces récits figurent par bribes en illustration de documents. On peut aussi les entendre après s'être équipé d'un casque audio.
Cette exposition ne pouvait pas ignorer la présence américaine. On a du construire plusieurs villages, le village de la Forêt, la sablonnière et la Cité Lafayette pour loger les américains qui sont arrivés au début des années 50 sur la base de l'OTAN d'Evreux-Fauville, avec leur mode de vie et leurs loisirs préférés.
Parmi les témoignages, celui d'Alain Lambert né à Evreux en 1947, apporte un éclairage souriant et sociologique à la fois : J'avais onze ans. Je me baladais à vélo dans le quartier Saint-Michel et j'ai fait la connaissance d'un Américain, une jeune de mon âge. Grace à lui j'ai découvert l'Amérique. Petit à petit je me suis inséré dans la communauté. J'allais au cinéma à la base. Il y avait aussi un bowling extraordinaire et une piscine qui existe encore. J'allais à l'église, une architecture américaine, avec un clocher en bois. Je suis allé à la messe par curiosité. Tout le monde endimanché, les américains très chic, c'était bien sur multiconfessionnel. J'ai aussi fait des Thanksgiving avec mes parents. Mais il n'y avait pas beaucoup de relations entre les gens d'ici et les américains. Des relations amoureuses chez les jeunes. Plusieurs mariages, bien sur, mais sortir avec un américain, c'était mal vu. On s'en méfiait un peu. Les américains m'ont aidé pour la musique. Ils étaient en avance sur nous avec de beaux instruments, de belles guitares, de belles batteries .... J'admirais tout ça. A l'arrivée du rock n'roll en France les guitares étaient françaises, moyennes. On n'avait pas les belles Fender et autres, le bon matériel (on comprend pourquoi Christophe a jeté son dévolu sur ces guitares). J'ai connu des musiciens et j'ai joué avec eux. J'allais aussi écouter des groupes itinérants qui étaient engagés par l'armée de l'air américaine pour animer les soirées des clubs dans les différentes bases de l'OTAN éparpillées sur le territoire européen. C'était des musiciens professionnels, de bons orchestres de jazz. C'était le vendredi soir et ils appelaient cela le floor show avec des ventriloques, des claquettes; ils adoraient les claquettes, des chanteurs et chanteuses et beaucoup de jazz. Chez les hommes de troupe c'était plutôt rock n'roll. C'était le début des Rolling Stones. Il y avait plein de groupes anglais qui faisaient la tournée des bases.
Evreux année zéro exposition temporaire au Musée d'Evreux (27)
Musée d'Art, Histoire et Archéologie, 6 Rue Charles Corbeau, 27000 Évreux
Du 10 décembre au 23 avril 2017
Entrée libre et gratuite
Du mardi au dimanche, de 10 à 12 h et de 14 à 18
Fermé le lundi