Le livre des autres. Entretiens. Raymond Bellour

Publié le 15 janvier 2017 par Antropologia

  Paris, 10/18, 1978.

Il est curieux d’écrire en 2017 le compte-rendu d’un livre publié en 1978, il y a presque quarante ans. Le hasard m’a mis dans les mains ce recueil d’entretiens avec Barthes, Foucault, Le Goff et Lévi-Strauss et quelques autres, réalisés entre 1966 et 1972, antérieurement publiés dans Les Lettres françaises, l’hebdomadaire culturel du Parti Communiste.

Ces entretiens proposent les traces d’un changement d’époque, la fin du structuralisme que Foucault, Barthes ou Le Goff laissaient sourdre et la naissance du « tournant linguistique » alors que le livre de Rorty venait à peine de sortir (il n’est toujours pas traduit en français). La confrontation des propos de  Français devant ces transformations méritent examen.

Binarismes

A l’aveuglement de Lévi-Strauss qui en 1967 affirmait qu’ « à Harvard une expérience en cours pour traiter sur ordinateur des mythes qui se trouvent être les mêmes que ceux sur lesquels j’ai travaillé » p. 46. s’ajoute son assurance en 1972 quand il osait dire p.384 qu’ « il faut distinguer plusieurs aspects dans le binarisme. Premièrement, le binarisme, cela existe. Puisque les linguistes s’en servent et puisque nous le voyons très souvent, objectivement attesté dans les façons de penser des peuples que nous étudions. On m’a souvent dit que l’opposition de la nature et de la culture, par exemple, dont je fais si grand usage, était une création des ethnologues et qu’on ne pouvait pas la plaquer sur les systèmes de pensée qu’ils étudient : je crois que rien n’est plus faux. Les ethnologues n’ont pu concevoir cette opposition que parce qu’ils l’ont empruntée à leur objet d’étude. ( …) D’autre part, le binarisme constitue une sorte de commun dénominateur ou de plus petit commun multiple, je ne sais pas, dès qu’il s’agit de traduire un message d’une langue dans une autre, ou plutôt de trouver des éléments communs à deux messages, au niveau où ils prennent sens l’un pour l’autre. »

En revanche en 1967, cinq ans avant, Foucault affirmait que « le langage mathématique depuis Galilée et Newton ne fonctionne comme une explication de la nature mais comme une description de processus », p.105.

Discours

Il considérait également, dès mars 1966, que « pour étudier la grammaire ou le système des richesses, il n’était pas nécessaire de passer par une science de l’homme, mais de passer par le discours ». De son côté Barthes affirmait contre une certaine lecture de Saussure que « … certaines analyses de Jakobson et de Benveniste, linguistique moins taxinomique, car elle ne vise plus tant au classement et à l’analyse des signes qu’aux règles de production de la parole » p. 57. L’un comme l’autre, mettait en avant l’analyse des discours pour aller vers à la connaissance de la réalité.

Ecriture

Dès lors, les curiosités se focalisent sur d’autres domaines : « La tache révolutionnaire de l’écriture n’est pas d’évincer mais de transgresser » Barthes, p. 60. « Les différences qui opposent et opposeront, par exemple, Lévi-Strauss et Lacan, se donnent à lire dès aujourd’hui dans la façon dont ils écrivent, c’est-à-dire dans leurs rapports idéologiques et méthodologiques à l’écriture » Barthes, p. 68. Dès lors, alors qu’il était courant de chercher « … comme pourrait être le récit d’une bataille fait conjointement d’une seule voix par Fabrice de Stendhal et le général Clausewitz. » Barthes, p. 64. , « On commence, du côté des logiciens surtout, des élèves de Russel et de Wittgenstein, à s’apercevoir que le langage ne saurait être analysé dans ses propriétés formelles qu’à la condition de tenir compte de son fonctionnement concret » Foucault p.118 en 1967. Que faisons-nous aujourd’hui ?

Ainsi, il y a 40 ans, les entretiens de Raymond Bellour montraient qu’il était possible de trouver dans les propos de quelques penseurs les marques de la fin d’une période et les prémisses d’une autre. Serions-nous capables de les discerner aujourd’hui ?

Bernard Traimond