(anthologie permanente) Gérard Cartier, "priser tout ce qui hante"

Par Florence Trocmé

Gérard Cartier publie Les Métamorphoses aux éditions Le Castor Astral.
.la création.

Épouser le monde Priser tout ce qui hante
Ce séjour coloré Le funèbre freux autant
Que la fameuse grouse Abeilles et mouche
Qui bourdonnent jour et nuit à nos tempes
Les tilleuls que le soir brasse arbres à palmes
A épis à gousses l’œillet la fougère
Autant pierres et galets que le Grand Serre
Qu’Aiguebelette un étang dans la tourbe Autant
Que le ciel   et plus   un trou dans le toit où passe
Un fragment du grand Tout   L’air également
Que la terre profonde   L’abécédaire
Y peut-il suffire   si informe contexture
Si diverse   Les hommes   un peu
Et les femmes comme ces rois de l’Inde
Qu’on n’approche jamais sans danger
Des pages en hâte   des carnets
Assez ne peut la main voler Assez
L’œil s’enivrer et la plume véloce
Courir sur la feuille y suscitant le lourd
Et le léger Autant qu’on le peut les créatures
Et les choses inertes   et l’homme également
Un peu…
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.La dévoration du monde

Sauvages nous sommes Hurons Iroquois
Dans nos sombres cabinets où bruisse à l’aube
La forêt des livres Non moins qu’au-delà
Des mers les Bois-brûlés des pays primitifs
Qui sans répit arpentent l’inconnu
Oreilles lacérées membres frottés de sang
La tête haute ornée de somptueux panaches
Et ceux qui les joues gonflées d’envoûtements
Leur révèlent l’Éternel et dans une tranche
De pain Le transfigurent Ils se les approprient
Et s’en nourrissent avidement Robes Noires
Archevêques suspendus dans la fumée
Comme venaisons Farcis d’aromates
Le cœur et le foie grésillant Et le gras
Des cuisses à rôtir sur des braises odorantes
Non moins qu’eux dans leurs bois de baumiers
Nous courons à l’aventure dans la pénombre
De nos cabinets   dépeçant les poètes
Et nous en rassasiant….
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.Élégie à la revenante.

Celle du passé du silence des nombres
La belle amnésique   évanouie
Dans la folie des herbes tandis qu’ici
Fuyant d’un pied lent les légendes dorées
Elle s’accomplissait sous des formes changeantes
Celle qui consentait à n’être plus
Livrée au désert   un jardin sauvage
Revenant un matin à l’improviste
Elle nous fait signe et vers la grille
Effondrée sous les ronces nous conduit en secret
Et la voix ravalée s’élève à nouveau
À celle de toujours   son pas dans l’herbe noire
Éprouvant un temps qui peut-être fut mien
Retrouvant sous les buis la source où apaiser
La soif des ardents qui depuis si longtemps
Ne me déchirait plus…
Gérard Cartier, Les Métamorphoses, Le Castor Astral, 2016, pp. 16, 63 et 93.
NB : dans la table dite « Hôtes », Gérard Cartier donne les noms d’Anna de Noailles, Paul Louis Rossi et Yves Bonnefoy pour ces trois poèmes.
Gérard Cartier dans Poezibao :
bio-bibliographie, Le Petit séminaire (parution), extrait 1, (note de lecture) Gérard Cartier, "Le Voyage de Bougainville", par Geneviève Huttin, (note de lecture) Gérard Cartier, "Le voyage de Bougainville", par Claude Ber