Daniel Buren : l’obsession de la couleur

Publié le 23 janvier 2017 par Aicasc @aica_sc

Le hasard du calendrier a provoqué le télescopage de deux évènements majeurs et tout à fait exceptionnels sous nos latitudes : l'inauguration de l'exposition Le Geste et la Matière du Centre Pompidou à la Fondation Clément en présence du Président du Centre Pompidou Serge Lasvignes, du directeur du musée national d'art moderne Bernard Blistène, à l'occasion des quarante ans du Centre et l'installation d'un Attrape soleil aux quatre couleurs de Daniel Buren, en présence de l'artiste, dans le Parc des Sculptures de la Fondation Clément. Cela semble un clin d'œil malicieux du hasard quand on sait que l'œuvre de Buren et du groupe s'est construite en 1967 contre tout ce que représente la peinture abstraite informelle et somme toute, pour en finir avec la peinture abstraite historique qu'ils jugeaient enfermée dans un académisme sans perspectives. Dans le même temps, la concomitance de ces deux évènements représente une formidable mise en perspective de l'histoire de l'art.

Cette actualité est si extraordinaire qu'elle mérite bien qu'on y revienne et qu'on l'approfondisse. Pourquoi ne pas repréciser ce qu'est l'outil visuel, ce qu'est une œuvre in situ et aborder l'obsession de la couleur chez Daniel Buren.

Cet outil visuel - ces fameuses bandes alternées de 8, 7 cm, utilisées depuis 1967 par Daniel Buren -n'a pas d'intérêt en lui-même. Il n'a qu'une fonction instrumentale. C'est un signe banal mais distinctif que l'on associe à Buren. Ce qui importe, c'est son mode d'utilisation, ses déclinaisons multiples dans des agencements artistiques qui sont, eux, des gestes d'auteur :

Les bandes colorées n'ont aucune signification en tant que telles. Ces sont simplement des instruments très ductiles pour voir. Elles prennent un sens lorsqu'elles sont utilisées. [...]

Les bandes que j'utilise constituent l'élément le moins intéressant, l'équivalent du piano pour le pianiste, seulement un instrument. Pour moi, il s'agit d'instruments impersonnels, ni figuratifs, ni originaux, ni optiques. Il n'y a pas beaucoup de signes qui ont toutes ces qualités.

Daniel Buren élabore des dispositifs in situ, éphémères ou permanents, parfois extrêmement sophistiqués à partir d'un signe simple grâce auquel il suggère une nouvelle lecture du lieu et bien souvent le révèle, renouvelle notre regard sur cet espace. L'artiste commence par s'imprégner de l'esprit du lieu pour créer une œuvre qui n'existe que par rapport à ce lieu spécifique qui l'a produite. A titre d'exemple de résonance entre l'œuvre et le lieu, c'est l'entraxe des colonnes de la galerie du Palais Royal- autrement dit mais avec moins de précision, l'écartement, l'espace entre ces colonnes- qui détermine la dimension des côtés des carrés du parvis des Deux Plateaux.

Dès les années quatre - vingt - dix la couleur qui était déjà déclinée dans les bandes alternées devient de plus en plus présente. Le mot couleur revient comme un leitmotiv dans les titres des œuvres comme dans les dispositifs eux- mêmes ( voir la liste ci après). Et suivre d'installation en installation, le traitement de la couleur, de la transparence et du reflet est tout à fait passionnant. Le site de Daniel Buren très bien structuré et très bien documenté permet aisément d'observer le cheminement de la démarche de l'artiste. Et l'on comprend mieux ce que dit Buren de sa démarche :

Il est toujours assez difficile de savoir exactement comment l'on arrive à telle ou telle position, voire décision. Je pense qu'il s'agit d'un long mûrissement où, confusément, je ressens des "manques" dans les œuvres, manques que je cherche par tous les moyens à combler.

Les couleurs, dit Daniel Buren, que nous percevons, les impressions suggestives de rouge et de bleu sont en réalité des étiquettes arbitraires que notre cerveau rattache à la lumière suivant différentes longueurs d'onde....pour moi, la couleur, c'est de la pensée pure, donc totalement indicible, tout aussi abstraite qu'une formule mathématique ou un concept philosophique.

Comme souvent dans mes travaux, l'œuvre dépend non seulement du lieu, mais aussi du climat, de la lumière, du soleil, des nuages, de la pluie, etc. C'est l'ensemble de ces manifestations atmosphériques qui marque l'œuvre et c'est la comparaison des effets, les uns par rapport aux autres, qui, finalement, fait l'œuvre ; même si chacun peut préférer un état à un autre.

Les filtres colorés permettent à la couleur de se projeter et de venir ainsi colorer, d'une manière très spéciale, tout ce qu'elle touche. La transparence et la qualité d'une couleur projetée grâce à un filtre coloré est, à mes yeux, beaucoup plus vivante qu'une couleur peinte, recouvrant une surface. Le dialogue entre ces deux manières d'utiliser la couleur dans un même lieu, par exemple, est extrêmement riche.

A propos de sa récente transformation de la Fondation Vuitton, Daniel Buren dit qu'il voulait donner au public l'impression qu'il nage dans la couleur .

L'idée du bain de couleurs pourrait ramener à des artistes de la lumière comme Cruz Diez et ses Labyrinthes de chromo-saturation où le public vivait l'expérience d'une immersion dans trois chambres de couleur, rouge, verte et bleue. Ou encore comme James Turrell avec ses Perceptual cells ( 1989) plus que ses . Les Wedgeworks créent l'illusion d'un mur par la projection de lumières colorées alors que les Perceptual cells sont des cabines qui n'accueillent qu'une personne à la fois et modifient sa perception de l'espace par la couleur. Cependant ; il y a une différence fondamentale. Les dispositifs de Cruz - Diez et Turrell procurent une expérience sensorielle en troublant la perception spatiale alors que Daniel Buren utilise la couleur au contraire pour que le spectateur, plus actif, loin de perdre ses repères, ait une lecture renouvelée de l'espace. Les premiers provoquent une expérience sensorielle. Daniel Buren crée les conditions d'une expérience intellectuelle non dénuée toutefois de plaisir esthétique. Ce sont des manières très différentes d'aborder la couleur dans le lieu, dans l'espace.

Le fondement de la démarche artistique de Buren consiste à créer les conditions d'une relecture de l'espace à l'aide d'un outil visuel, que ce soit des bandes alternées de 8,7cm ou des projections lumineuses colorées.

Dominique Brebion

Les citations de Buren sont extraites des ouvrages:

L'atelier de Daniel Buren de Mario Chanson ( ED Thalia)

Daniel Buren Monumenta12 (CNAP- Grand Palais & RMN)

DAniel Buren Guy Lelong (Ed Flammarion)

et d'interviews : Daniel BUREN: Entretien exclusif sur le thème de la couleur à Pebeo Entretien avec Marie-Anne Kleiber - Le Journal du Dimanche-8 mai 2016

Inexorablement, les couleurs glissent

2015

Cagnes-sur-Mer, France

Sept Couleurs pour une cheminée

2013

Chemnitz, Allemagne

Entrée/Sortie : traverser La Couleur

2013

Tours, France

La Grande Claustra polychrome

2013

Tours, France

Liste partielle

Cinq couleurs pour un cylindre

2013, Milan, Italie

Cabane éclatée aux 4 couleurs

2012, Catanzaro, Italie

2012, Donetsk, Ukraine

2012

Donetsk, Ukraine

Muri Fontane a tre colori per un esagono / Murs fontaines aux trois couleurs pour un hexagone

2005- 2011

Quarrata, Italie

Cinq Couleurs pour une entrée

2011

Paris, France

2007 - 2008

Île-de-France, France

Passages Under a Colored Sky

2007

Anyang, Corée du Sud

Passage de la Couleur, 26 secondes et 14 centièmes

Août 1979 / Juin 2007

Bâle, Suisse

Transparences et Projections colorées

2005

Vez, France

Août 2003-Juin 2005

Pistoia, Italie

Juin 2004

Cholet, France

The Colors Suspended : 3 exploded cabins

Juin 2003

Toyota, Japon

Somewhere along The Way, Some Colors

Février 2002 / Mai 2003

Niigata, Japon

Octobre 2001-Septembre 2002

Innsbruck, Autriche

Transparences colorées

1999- 2001

Munich, Allemagne

Encoder-Décoder : du code à sa lecture - Couleurs, reflets, transparence

1996 - 1997

Boulogne-Billancourt, France

À travers le miroir incliné : la couleur

Juillet 1997

Düsseldorf, Allemagne

La Montée de la couleur et La Cascade de la couleur

Août 1979 / Mars 1996

Leipzig, Allemagne

25 Porticoes : The Color and its Reflections

Juin 1996

Tokyo, Japon

Mai 1984 / Août 1996

Montréal, Canada

Diagonale pour des pilastres - Losanges pour des couleurs

Octobre 1994 - Septembre 1995

Bonn, Allemagne

Les Couleurs : Sculptures

(Quinze pièces différentes et de trois fois cinq couleurs différentes)

Paris 1975 - 1977

présence de la couleur dès

Sans Titre

1990

Furkapapasshöhe, Suisse