(reportage) Au fil du Danube, soirée de lancement de La Revue de Belles-lettres

Par Florence Trocmé

Au fil du Danube
soirée de lancement de la revue de Belles Lettres

Le jeudi 26 janvier 2017, Entrevues accueillait à Paris La Revue de Belles-Lettres, à l’occasion de la parution de son dernier numéro, intitulé « Un Danube poétique » (Les photos sont agrandissables par simple clic).
Au mur, en attendant que les invités s’installent, projection d’un court extrait, étonnant, d’un film de Theo Angelopoulos, « Le regard d’Ulysse », avec une musique d’Eléni Karaïndrou.
Non sans humour André Chabin dresse un bref portrait d’une très vieille dame, La Revue de Belle- Lettres, qu’il dit encore plus endurante que Robert Marchand, le coureur cycliste centenaire. La Revue de Belles-lettre parait en effet depuis près de cent quatre-vingt ans et est aujourd’hui dans sa 140ème année ! Il souligne aussi son regain depuis que Marion Graf et son équipe en ont pris les rênes il y a quelques années. Il insiste enfin sur la générosité qui selon lui caractérise les revues, dans leur dévouement et leur accueil à l’œuvre de l’autre.
Marion Graf prend ensuite la parole, présente deux membres de son équipe Amaury Noroit et David André, ainsi que la peintre Anna Mark, elle-même native de Budapest, présente dans le public, qui signe les gouaches qui animent le nouveau numéro, « portes et barques dans les méandres du Danube ». Elle remercie aussi Julia Kristeva de sa présence, elle qui présente dans ce numéro l’importante poète bulgare Blaga Dimitrova dont sont aussi donnés trois poèmes traduits par Mireille Gansel, qui n’a pu être présente. Elle insiste enfin sur la grande importance des traducteurs qui ont œuvré pour ce numéro.
Elle explique que pour les Suisses (oui, La Revue de Belles-Lettres est suisse) le Danube fait curieusement partie des fleuves nationaux, au même titre que le Rhin ou le Rhône alors même qu’il ne traverse pas le territoire (1) mais que les Suisses peuvent y accéder via un affluent situé dans les Grisons, l’Inn.
Elle attire l’attention sur l’importance européenne des régions traversées par le fleuve et il faut noter d’ores et déjà que cette importance va véritablement s’imposer au fil de la rencontre, d’une manière forte et au fond très émouvante. Elle évoque les grands auteurs qui ont écrit sur ou à partir du Danube, de Denis de Rougemont et son Paysan du Danube, jusqu’au Danube de Claudio Magris, ou qui ont un lien puissant avec le fleuve, Canetti par exemple né à Roussé en Bulgarie, Péter Esterházy, Zsuzsanna Gahse ou encore Marius Daniel Popescu.
L’idée forte, dit encore Marion Graf, c’est celle du réseau tissé autour du Danube grâce aux traducteurs, qui font connaître les poètes et donnent à lire leurs œuvres. Autour de l’idée d’une Europe danubienne, une sorte d’état utopique.
Ce sont en effet ensuite les traducteurs qui vont parler des œuvres qu’ils ont présentées dans ce numéro.
Lucie Taïeb intervient en premier lieu pour parler de Friederike Mayröcker (elle a traduit Cruellement, là, pour l’Atelier de l’Agneau) et du double sentiment, ravissement et étrangeté, qu’elle a éprouvé la première fois qu’elle a été mise en contact avec la langue très particulière de la poète autrichienne. Pour ce numéro elle a procédé à 4 mains avec Brigitte Stefanek-Egger et décrit leur méthode de travail de façon passionnante.
Intervient ensuite Claire de Oliveira qui occupe actuellement le devant de la scène littéraire pour la nouvelle traduction qu’elle vient de proposer de La Montagne Magique de Thomas Mann. Elle traduit également le roumain et propose ici cinq poètes souabes du Banat (2), une poésie codée, dit-elle, pour tromper les censeurs et marquée par une esthétique de la réduction qui rappelle Paul Celan. Ces poètes sont à la confluence de deux langues, le roumain et l’allemand et Claire de Oliveira rapproche trois groupes : Saxons de Transylvanie, Souabes du Banat et Juifs de Bucovine.
Puis c’est au tour de Jan H. Mysjkin de présenter Angela Marinescu qu’il a bien connue. Occasion pour lui d’évoquer tout un pan de la vie littéraire en Roumanie.
Roumanie toujours avec Pierre Drogi, dont on sait quel traducteur du roumain il est (Virgil Mazilescu, Nichita Stănescu) et qui présente ici  en effet l’œuvre de Virgil Mazilescu dont il lit à haute voix trois très beaux poèmes. Il insiste sur la singularité et la tendresse de cette écriture, qui tourne autour du peu, du presque rien.
La Croatie est présente dans le numéro à partir de traductions de Martine Kramer qui n’a pu être présente à cette soirée mais une de ses amies présente ses traductions de Sibila Petlevski et de Delimir Resicki.
Et enfin un autre traducteur connu des lecteurs de Poezibao, Guillaume Métayer présente ses traductions du hongrois et en particulier du poète István Kemény (mais aussi Sándor Kányádi et Györgi Petri)
La soirée se conclut par une belle lecture de Lucie Taïeb qui a effectué un choix dans tout ce numéro.

Florence Trocmé
Sont représentés dans ce remarquable numéro pas moins de 35 auteurs, 8 langues, 19 traducteurs : une revue qui a l'ampleur d'un fleuve et qu’on peut lire aussi comme une belle contribution à l’esprit européen. (sommaire)
Il faut ajouter que Mireille Gansel a donné la traduction d’un texte de Reiner Kunze, que Marie Vrinat a traduit plusieurs poètes bulgares et que Marion Graf elle-même a traduit plusieurs poètes de langue allemande, d’Ilse Aichinger à Zsuzsanna Gahse en passant par Leta Semadeni
« Ce numéro s’adresse à l’imaginaire danubien qui veille ou sommeille en chaque lecteur. Il rassemble pour une rencontre virtuelle une pléiade de poètes d’aujourd’hui, issus des dix pays riverains. De quoi découvrir, loin des clichés, une Europe du XXIe siècle complexe, déchirée, rieuse, tragique : Où commence l’Est ? À Donaueschingen, à Vienne, ou à La Haye ? Et si le Danube coulait d’Est en Ouest ? Embarquement avec Gueorgui Gospodinov et Julia Kristeva, Marius D. Popescu, Ilse Aichinger, István Kemény, Zsuzsanna Gahse et une trentaine d’autres poètes.
1. Le Danube est formé de deux ruisseaux descendant de la Forêt-Noire, la Breg et la Brigach. La Breg prend sa source près de Furtwangen im Schwarzwald, à 1 078 mètres d’altitude. Ayant un parcours plus long, sa source, qui ne se situe qu’à cent mètres de la ligne de partage des eaux du bassin du Rhin, est considérée comme la source géographique du Danube. Les deux ruisseaux se réunissent à Donaueschingen où, dans le parc du château, se trouve la fontaine monumentale du XIXe siècle, dite « Donauquelle », symbolisant la source officielle. Le Danube traverse ensuite le Bade-Wurtemberg et la Bavière, arrosant les villes de Sigmaringen, d’Ulm, de Ratisbonne et de Passau, puis le nord de l’Autriche (en passant par Linz et Vienne), longe le Sud de la Slovaquie en passant par Bratislava, traverse la Hongrie du Nord au Sud en passant par Budapest, longe la Croatie à l’Est, traverse le Nord de la Serbie en passant par Belgrade, marque la frontière entre la Serbie et la Roumanie puis entre la Roumanie et la Bulgarie avant de se jeter dans la mer Noire en Roumanie, en formant un large delta qui borde la frontière avec l’Ukraine. La République de Moldavie a un accès de quelque 300 mètres à la rive gauche du fleuve à Giurgiuleşti (entre Galați et Reni). (source)
2. Cinq poètes souabes du Banat : Johann Lippet, Ernest Wichner, Rolf Bossert, Werner Söllner, Horst Samson.
photos ©Florence Trocmé, de haut en bas Marion Graf et André Chabin, Claire de Oliveira, Jan H. Mysjkin, Pierre Drogi, Guillaume Métayer, Lucie Taïeb