Les photographes les plus cotés ne sont pas forcément photographes

Publié le 28 février 2017 par Aicasc @aica_sc

Ces 20 dernières années ont profondément bouleversé le marché de la photographie, notamment en terme de poids économique : le produit de ventes aux enchères est ainsi passé de 16 m$ pour un peu plus de 3 000 clichés cédés aux enchères, à environ 130m$ en 2016 en Occident. Si la photographie représente 2% du produit de ventes mondial Fine Art, soit une part congrue, elle n’en est pas moins un marché dynamique porté par l’appétence des collectionneurs d’art contemporain, surtout en Occident.

Le palmarès des « artistes photographes » s’est vu profondément bouleversé, car les prix des clichés anciens et modernes a été rattrapé, puis dépassé, par ceux des artistes contemporains. L’expression « artistes photographes » paraît plus appropriée que celle de photographes dès lors que nous évoquons la création contemporaine, car de nombreux artistes explorent la photographie comme ils explorent d’autres voies de la création. La photographie est souvent un moyen sans constituer une fin et ces artistes ne sont pas forcément des photographes en soi. C’est le cas d’un nouvel arrivant dans le palmarès des meilleures enchères du genre : Ai Weiwei, l’artiste chinois le plus populaire qui soit en Occident, affiche un parcours plastique et militant hors-normes. Il obtenait, en 2016, son premier résultat millionnaire dans le secteur de la photographie avec Dropping an Han Dinasty Urn, un triptyque photographique issu d’une performance réalisée en 1995. Le triptyque décompose un seul mouvement, celui où l’artiste lâche de ses mains et laisse se briser au sol un vase ancien de 2000 ans, de la dynastie Han. Dans un geste qu’il veut libérateur, Ai Weiwei « lâche » le passé, brise l’héritage culturel, interrogeant notamment la valeur accordée à l’art et à l’histoire dans nos sociétés. L’oeuvre, importante par sa dimension (136 x 109 cm) et rare (tirées sur 8 exemplaires), était attendue entre 200 000 et 300 000 $. Elle s’est finalement envolée pour 1,08 m$ en février 2016 chez Sotheby’s à Londres. Sa valeur a été multiplié par 10 en 10 ans, suivant une cote et une popularité explosives. Quelques clichés moins emblématiques d’Ai Weiwei circulent encore pour moins de 1 000$, car la photographie est un marché à deux vitesses; avec une production abordable parallèlement aux œuvres millionnaires.

Mais les artistes les plus chers du marché restent les américains, portés par la puissance de la place de marché new-yorkaise et par des collectionneurs de haut vol qui soutiennent leurs compatriotes en premier lieu. Si la fameuse artiste américaine Cyndy Sherman s’est fait discrète aux enchères en 2016 (son indice de prix en en chute libre depuis le pic de 2012 boosté par sa grande rétrospective au MoMA la même année), son record absolu affiche tout de même plus de 6,7 m$ pour une série de 21 tirages argentiques vendue en 2014 et issue de sa série Untitled film stills, ce qui amène le prix de chaque tirage à 319 000$ en moyenne (vendue chez Christie’s New York, emportés le 12 novembre 2014 ). 16 photographies de l’artiste se sont vendues plus d’un million de dollars ces 10 dernières années, dont une l’an dernier (Untitled #216, 1989, 4/6, Sotheby’s New York, le 17 novembre 2016).

Cependant, le grand gagnant de l’année 2016 est incontestablement Richard Prince, « détourneur » de photographies plus que photographe, à qui l’on doit la moitié du palmarès des 10 enchères annuelle. Le grand favori de la photographie américaine n’emporte pas de nouveau record absolu. Le grand ektachrome Untitled cowboy cédé pour 3,525 m$ le 10 mai 2016 chez Christie’s à New York reste 400 000$ derrière le cliché Spiritual America vendu au seuil des 4m$ en mai 2014 par la même maison de ventes… des prix hauts, bien plus hauts que ceux atteints par les pionniers du XIXème siècle.

Si le marché récompense aujourd’hui en premier lieu des artistes contemporains en vogue, l’explication n’est pas seulement culturelle et économique, elle est aussi structurelle, car les clichés historiques sont naturellement devenue une denrée rare comparée au flot de photographies plus récentes.

source © artprice.com

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