Véronique Sousset : Défense légitime

Par Stephanie Tranchant @plaisir_de_lire

Défense légitime de Véronique Sousset  5/5 (11-02-207)

Défense légitime (144 pages) est disponible depuis le 1er février 2017 dans la collection Le Brune des Éditions du Rouergue.

 

L’histoire (éditeur) :

Commise d'office pour défendre un père assassin de son enfant, Véronique Sousset nous plonge dans l'instruction et le procès de ce fait divers terrible. Comment se faire l'avocate du diable ? Document saisissant sur le quotidien d'un avocat, réflexion sur le sens de la défense et sur le Mal. Premier document non-fiction publié dans la brune. L'affaire relatée est la même que celle dont s'est inspiré Alexandre Seurat dans son roman «La Maladroite».

Mon avis :

Défense légitime est un petit récit qui frappe fort. Véronique Sousset, directrice d’établissement pénitentiaire, a décidé en 2008 de se mettre en disponibilité pour exercer le métier d’avocat pendant 4 ans. Durant cette période, elle est avocat pénaliste, commise d’office dans une terrible affaire. Elle devient « l’avocat d’un salaud », commis d’office pour ce qu’on appelle « un monstre ».  Son client, est un père de 5 enfants, coupable d’avoir, avec sa femme, violenté, séquestrée et tuée leur aînée.

 « Vous exprimez sans être conscient le paradoxe de cet amour paternel. « Mes enfants sont ma raison de vivre ». Je creuse pour le croire et vous renvoie de grandes pelletées de silence pour boucher le trou que provoque cette antienne. » Page 88

Au-delà de la question du pourquoi et du comment de tels actes sont possibles, Défense légitime pose une problématique très intéressante qui interpelle le lecteur dès le prologue.

« Parce que tout être humain a le droit d’être défendu au nom des lois de la République, de ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Et si défendre n’était pas excuser, ni trouver des circonstances atténuantes, mais expliquer, donner du sens, guider sur le chemin escarpé de la vérité, pour juger en connaissance de cause, surtout quand la peine encourue est lourde ? puisque chacun peut un jour être désigné juge en cour d’assises, chacun a le droit et le devoir de savoir qui il va juger, qui est cet homme derrière le crime. Et s’il n’y avait pas de monstre, juste un homme, un semblable, derrière la monstruosité des faits ? »  Page 13

Pourquoi défendre un tel homme qui reconnait d’emblée la responsabilité de ses actes et demande la perpétuité ?
 « Vous défendre afin de vous redonner cette part d’humanité que nous partageons. » Page 20
 « Le fleuret dans la main, j’ai le gout de l’assaut courtois qui fait mouche ans blesser. J’ai la tête à découvert mais les mains armées. Je ne sais pas encore en combien de manche se joue la partie mais je suis endurante. » Page 35

Défense légitime retrace le parcours de l’auteure dans cette affaire, les étapes de son travail d’avocat et le cheminement psychologique, personnel et professionnel vers un verdict qu’elle veut juste.
Véronique Sousset revient sur la découverte des faits, sa rencontre avec l’homme (« Vous êtes enfermé ici depuis cinq mois et cadenassé en vous depuis bien plus longtemps. » Page 32), son état d’esprit, sa manière d’aborder les choses, de mettre de la distance tout en reste naturellement humaine, sa ligne de conduite, sur la relation qui s’est construite petit à petit et difficile à définir (entre le dégoût ressenti face à un fou et l’inquiétude devant un homme qui n’est plus rien), l’instruction (expertises psychologiques, les différentes auditions, audience, les témoignages) et l’impact sur sa vie.

 « Alors je peux vous regarder dans votre costume déjà trop grand d’accusé flanqué d’une peau à même les os et d’une pale lueur dans les yeux éteints qui ne se rallumeront plus. Vous êtes désormais un homme sans étincelle. L’ampoule grillée de votre âme dont ne me provient aucune réponse, parfois juste un éclair. » Page 32

Avec une écriture franche, directe, poétique, sensible et pudique, l’auteure livre un petit livre très lourd. Défense légitime évoque une affaire sordide et même, si rien n’est réellement caché et que l’horreur est palpable, Véronique Sousset nous épargne l’étalage des faits inutiles. Quelques détails nécessaires sont livrés mais il s’agit essentiellement du rapport à l’homme, de son travail et de sa part d’investissement personnel.

Il y a là une très grande justesse. Pas d’empathie (jamais elle ne cherche à dédouaner), mais un regard intelligent porté sur l’homme qui touche profondément.

« Ce jour où nous partageons un morceau d’ordinaire. Je n’ai pas eu envie de fuir, ni de vomir, ni de rien ourdir. Vous êtes là, échassier, avec votre humanité encombrante et je suis convaincue que nous ne vous résumez pas au fils, mari, père dont j’ai entendu les récits. » page 84-85

Défense légitime rappelle la part d’humanité en chacun , interroge sur ce qui fait un Homme (les actes définissent-il une personne ?) et sur la justesse autant que sur  les principes de la peine.

« La perpétuité, c’est le désespoir programmé.
De mon expérience, je peux modestement vous livrer ce constat : la peine est comme une échelle, à chaque barreau son seuil, un palier, une année de plus est parfois une année de trop. C’est donc aussi tout le sens de la juste peine, car gardons-nous de chercher une peine juste, elle n’existe pas pour répondre à la mort d’un enfant.
Le crime a placé mon client hors de la considération sociale. La peine que vous prononcerez doit l’y intégrer et faire mentir le désespoir. » Page 126

C’est un récit que je n’oublierai pas, un texte concis et juste, d’une grande et belle qualité narrative.
« Les mains du condamné sont moins imposantes que celles du coupables » page 132