Conversation avec Samantha Barendson autour de Mon citronnier

Publié le 11 mars 2017 par Pascal Iakovou @luxsure
by Elisa Palmer on 11 mars 2017 233 Views |  Like

Conversation avec Samantha Barendson autour de Mon citronnier

Mon citronnier– Samantha Barendson

JC Lattès – 17€

www.editions-jclattes.fr

« Je lui dis souvent Tu fais chier papa. Je le lui dis à voix basse, dans ma tête, jamais à voix haute, pas besoin, s’il m’entend, il entend ce qu’il y a dans ma tête, même si parfois je lui parle en français et qu’il n’est pas censé comprendre le français. Tu fais chier papa, tu fais chier d’être parti si tôt, d’avoir laissé maman toute seule. Tu fais chier de n’avoir pas été là quand on avait besoin de toi, de n’être toujours pas là. Il ne fait même pas l’effort de s’immiscer dans mes rêves. J’aimerais me réveiller un matin après avoir passé la nuit à rêver de lui, à rêver d’une conversation, d’une balade, d’un moment partagé. Je lui dis Tu fais chier papa, tu pourrais au moins venir dans mes rêves, on pourrait passer comme ça un peu de temps ensemble, apprendre à se connaître, et mes rêves se mélangeraient à la réalité et j’aurais enfin des souvenirs. Mais non, tu fais chier papa. Che stronzo papà.« 

Samantha Barendson est poète. Aux origines latines (française, argentine et italienne), elle est née en 1976 en Espagne. Ce premier roman « Mon citronnier » fait suite et donne la réplique à son récit poétique « Le citronnier », paru aux éditions du Pédalo Ivre (www.lepedaloivre.fr) en 2014. C’est d’ailleurs, ce dernier qui avait remporté le Prix de poésie René Leynaud 2015.

Les deux livres creusent le même thème : l’absence du père dans la construction de l’enfant (même à 40 ans), à travers une approche différente de l’écriture. Quand « Le citronnier » prononce une voix plus poétique et musicale dans la plaie ouverte du manque, « Mon citronnier » interroge les vivants, cherche des détails et explications, et surtout ramène à la réalité en capitalisant sur du formel.

Ici, à presque 40 ans, Samantha muée en romancière, interroge la métaphysique de la présence dans l’absence (ici la figure de son père décédé alors qu’elle n’avait que deux ans). Qui était ce/son père ? Qui est cet immense silence personnifié qui porte le nom de « papa » ? Dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, sous la forme d’une enquête poético-policière, elle part littéralement à sa recherche… Trouvera-t-elle des bribes de réponse, des consignes à suivre, des mots pour guérir du vide affectif, et surtout des voix qui s’élèveront pour lui raconter l’histoire de son sang ?

Dans les trames de l’absence, comment se construit cet héritage paternel – a priori retranché derrière, chez ces enfants en manque de racines ? De cris d’amour en cris d’espoir, ce roman traite de la figure de ce père « desaparecido », envolé, déguerpi, qui n’a laissé aucune trace de son passage, mais qui à l’épreuve du temps, au bal dansant de la construction de soi, nécessite un peu de matière, quelques repères – même mal dégrossis, afin de lui rendre chair et vie, indispensables pour se comprendre soi-même. A l’image de la plume, la langue est généreuse, spontanée et intense. Un nouveau genre moderne et très personnel.

Elisa Palmer. Pourquoi cette envie/pulsion/nécessité d’interroger et d’enquêter sur la mémoire de ta famille à presque 40 ans ?

Samantha Barendson. J’ai toujours voulu écrire un livre sur l’absence de mon père mais je voulais que ce soit un livre universel et non pas une catharsis. Il a donc fallu attendre l’âge de la sagesse pour savoir prendre le recul nécessaire et ne pas tomber dans le pathos. Pour moi, ce livre n’est pas un journal intime mais bel et bien un recueil poétique.

EP. Est-ce plutôt une enquête ? Est-ce plutôt un récit poétique ? Est-ce un genre hybride entre les deux ?

SB. C’est une enquête poétique, j’aime à l’appeler ainsi. À l’origine c’était un travail sur le thème de l’absence et du vide, l’enquête est venue dans un second temps tandis que j’interrogeais certains membres de ma famille pour construire la matière de mon récit… de fil en aiguille je me suis prise au jeu de l’enquête car je voyais bien que les gens répondaient mal et peu, je voyais des silences là où les mots auraient simplement suffi.

EP. Qu’est-ce qui t’obligeait, te poussait, à vouloir rendre « la » vraie identité à ton père ?

SB. Lorsqu’on a perdu un parent très tôt comme moi, on passe sa vie à penser que ce n’est pas grave, que l’on peut faire sans. Et puis un jour se réveille la curiosité de savoir d’où l’on vient. Ce livre est une façon de dire que l’on vient tous de quelque part, que l’on soit  orphelin, abandonné, adopté, oublié ou échangé… il y a toujours une histoire qui nous précède. J’ai été très étonnée lorsque j’ai reçu le Prix de poésie René Leynaud 2015 ‒ la cérémonie a eu lieu au Centre d’histoire de la résistance et de la déportation de Lyon ‒  car les gens venaient me voir et me parlaient de leur histoire, de leurs parents déportés, décédés, disparus et faisaient le lien avec mon livre qui pourtant ne traite pas de cela, mais ils y avaient reconnu leur douleur, leur vide…

EP. Est-ce que la plus proche vérité sur son identité à lui te donne une plus proche vérité sur ton identité à toi ?

SB. Je ne sais pas, car je suis qui je suis avec mon histoire et mon parcours, mais une chose est certaine, au fil de l’enquête, j’ai fini par reconnaître des traits physiques ou de caractère qui m’ont confortée dans l’idée que cet homme, aussi inconnu et absent soit-il, est bien mon père.

EP. Quelle est la différence entre l’ouvrage édité chez Le Pédalo Ivre et celui que j’ai lu édité chez JC Lattès ? Qu’offre – en plus – le second ouvrage ?

SB. Lorsque j’ai rencontré mes éditrices chez Lattès, Isabelle Monnin et Karina Hocine, elles m’ont dit que l’ouvrage initial de 60 pages pouvait devenir un roman, qu’il suffisait d’ajouter presque rien. J’avais alors commencé à écrire une suite qui contenait les quelques éléments de l’enquête découverts après la publication du livre. Mais peu à peu, je me suis rendue compte que le travail à fournir était autrement plus vaste et qu’il s’agissait là d’un nouveau livre… J’ai ainsi développé les personnages (la mère, la grand-mère, la tante, le meilleur ami et surtout… la narratrice), j’ai complété toutes les ellipses, tous les non-dits, toutes les insinuations restées en suspens dans la première version, j’ai avancé dans l’enquête de façon plus sérieuse avec deux personnes pour m’aider, l’une en Espagne et l’autre en Argentine, je me suis déplacée pour aller rencontrer des gens, j’ai écrit à tout le monde, aux anciens amis de mon père mais aussi aux journaux, aux radios, à la police et même au médecin légiste qui avait déclaré sa mort. Le roman, tout en gardant une forme poétique fragmentaire est devenu plus narratif, à tel point qu’y figurent désormais des parties totalement fictives. Comme dit mon ami poète Herménégilde Chiasson « les poètes disent la vérité alors que les romanciers mentent »… voilà peut-être la différence, désormais je vous mens (sourire).

EP. Comment tu te situes et restes « poète » à travers une enquête policière ? Où transpire la poésie ?

SB. La poésie se situe dans l’agencement des mots, dans le rythme, dans les silences, elle transpire de toutes parts. Et puis je ne sais pas si l’on peut parler « d’enquête policière », il y a en effet un corps, des policiers, une enquête mais il y a avant tout une femme de quarante ans, des secrets de famille, des interrogations… l’enquête n’est finalement qu’un prétexte à autre chose… mais ne dévoilons pas tout.

EP. Est-ce un acte fort d’être poète en 2017 ?

SB. Oh oui ! En France la poésie est très souvent associée à des poètes morts étudiés au collège, elle garde le goût amer de la poussière et des obligations. D’autres fois, elle est associée à une certaine élite intellectuelle, à quelque chose de difficile à appréhender ou à comprendre. Combien de fois ai-je entendu la phrase « je n’aime pas la poésie ». Est-il seulement pensable d’entendre dire « je n’aime pas la musique » ou « je n’aime pas la nourriture » ? La poésie est un genre qui englobe diverses approches, il y a autant de distance entre Charles Pennequin, Yves Bonnefoy et moi qu’entre Alain Souchon, Maître Gims et Jean-Sébastien Bach. C’est cela que nous essayons de démontrer avec le collectif « Le syndicat des poètes qui vont mourir un jour ». Il y a toutes sortes de poésies, et chacun peut trouver la sienne, mais il faut de la poésie pour tous et partout ! Mais la tache est ardue et la route est longue…

Merci encore à Samantha Barendson.

Elisa Palmer

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