T'en veux de la fatwa ?

Publié le 26 juin 2008 par Fares


Je vais revenir sur l'affaire du mariage annulé qui a défrayé la chronique il y a quelques semaines.

J'ai appris la nouvelle sur le blog du Desdichado. J'ai eu l'occasion de dire ce que j'en pensais dans plusieurs commentaires ici et là.


Sur cette affaire, il y a un article que je trouve très intéressant (hormis le titre, que je trouve débile), c'est celui que Mme Jacqueline LEDUC NOVI (avocate au barreau de Lille) a publié sur Agoravox.

Dans un des commentaires, je disais :



[...] Mais ce "vif débat de société", je le trouve globalement de très mauvaise qualité. En faisant une petite revue de presse c'est très clair, le son de cloche est identique partout : le mari a demandé, et le juge lui a accordé, point final. C'est un rappel des faits partiel et partial. C'est très difficile de trouver le moindre article dans lequel on comprend clairement que dans cette affaire le mari et la femme demandent la même chose, et que justement le juge appuie sa décision sur le fait que tous deux ont demandé la même chose. Quand je pose la question autour de moi : "le mari voulait l'annulation du mariage, mais la femme qu'est ce qu'elle voulait ?", à peu près personne ne sait répondre.
On a droit à un matraquage à sens unique, avec des articles du genre de celui que j'ai cité : "Condamnation unanime de cette décision de justice".
Il aurait été souhaitable que dans les médias, on puisse avoir accès à des débats contradictoires entre juristes en langage compréhensible, afin qu'on ait une idée plus précise des différentes jurisprudences possibles qu'on peut déduire de cette décision. Là on aurait su si cette décision porte réellement en elle les graines d'un risque pour le statut des femmes, ou si au contraire le juge de Lille a pris suffisamment de précautions en appuyant sa décision sur le fait que les deux époux étaient favorables à l'annulation du mariage.
Au lieu de ça, on nous gave littéralement de conneries comme celles de Fadela Amara, qui parle sans rire de "fatwa contre l'émancipation des femmes". C'est vraiment stupide.
Donc on a un "vif débat de société", avec beaucoup d'émotion, beaucoup d'indignation, malgré une connaissance des faits très partielle, et une compréhension potentiellement erronée de la décision et de son impact en matière de jurisprudence. Les conditions d'un vrai débat de société serein ne sont donc clairement pas réunies.

Je vais insister un peu plus sur la phrase de Fadela Amara. En fait c'est comme s'il y a avait eu un genre de concours, à qui se répandrait dans la presse pour sortir la plus grosse connerie. Et je pense qu'au jeu de la plus grosse connerie, c'est bien madame Amara qui a gagné : sa phrase est délicieusement empoisonnée.


Depuis la fatwa proférée par l'ayatollah Khomeni à l'encontre de Salman Rushdie pour son livre "les versets sataniques", le mot "fatwa" est en quelque sorte devenu synonyme de "condamnation à mort". Il est tout à fait évident qu'une fatwa émise par un quelconque ayatollah (un espèce de vieux type barbu extrémiste), c'est forcément quelque chose de totalement rétrograde, voir franchement moyenâgeux. D'ailleurs, juste pour rire, imaginez un peu que l'ayatollah en question soit l'un des chefs spirituels du Hezbollah, et qu'en plus sa fatwa porte sur les femmes... On frémit d'avance à l'idée du tissus de conneries qu'on s'apprête à lire, pas vrai ?

Allez chiche : vas-y coco, balance la fatwa !!!

Le type s'appelle Mohammad Hussein Fadlallah, il est ayatollah, il est l'un des chefs spirituels du Hezbollah, et sa fatwa date du 27 novembre 2007 ( voir le texte complet) :



[...]
Sixièmement : L'Islam n'autorise l'homme d'exercer aucune forme de violence contre la femme. Il n'a pas le droit d'attenter à ses droits légaux qu'il doit respecter conformément au contrat de mariage, ni de la chasser de la maison, ni de l'insulter, de l'injurier ou de lui adresser des paroles dures. Cela constitue un péché pour lequel l'homme sera châtié par Dieu et poursuivi par la loi islamique.
Septièmement : Si l'homme exerce la violence physique contre la femme et que celle-ci se voit incapable de se défendre par un moyen autre que de lui rendre la pareille, cela lui est licite en tant que juste défense. Si l'homme exerce la violence juridique contre la femme en la frustrant de certains de ses droits conjugaux comme les dépenses ou la vie sexuelle, il est en son pouvoir de renoncer à ses obligations envers lui qui sont fixées par le contrat de mariage.
Huitièmement : L'Islam affirme que nul n'a de l'autorité sur la femme du moment qu'elle est pubère, adulte et autonome pour ce qui est de la gestion de ses propres affaires. Nul n'a le droit de lui imposer un mari qu'elle ne désire pas. Tout contrat de mariage doit être consenti par la femme. Sinon il est illégal et sans effets.
[...]

Ah ben merde alors... C'est pas "ou tout blanc, ou tout noir" ? C'est pas "les gentils contre les méchants" ?

L'avantage d'une vision simpliste, c'est qu'elle est simple et donc facile à appréhender. Son problème, c'est qu'elle est fausse.

Finalement, on en revient à la vidéo que je mentionnais dans un billet précédent, où chacune des deux nanas posait la question : "Est-ce là votre vision de moi ?".


Le préjugé sur lequel repose la phrase de Fadela Amara est aussi stupide et aussi moisi qu'un préjugé qui supposerait par exemple qu'en chaque curé sommeille un pédophile en puissance.


Le problème, c'est que madame Amara est Secrétaire d'Etat. Aujourd'hui en France un Secrétaire d'Etat peut sortir des petites phrases pourries comme le coup de la fatwa sans aucun soucis, sans avoir besoin de se justifier. Comme si ce dérapage là n'en était même pas un.