Joli joli Pissarro

Par Balndorn

Je sortais de l’exposition Pissarro à Éragny au musée du Luxembourg et, comme tout visiteur, atterrissais dans la librairie. Flânant parmi les ouvrages d’histoire de l’art, de jardinage, de coloriages, je tombai à mon grand étonnement sur un rayon de livres consacrés à l’anarchisme.

Qu’est-ce que peuvent bien avoir en rapport les vues champêtres du vieux peintre dans son domaine normand et les théories politiquement radicales des anarchistes ? Après quelques recherches en rentrant chez moi, j’obtins la clef de ce mystère : Pissarro se revendiquait de l’anarchisme.Pas une seule fois l’exposition ne mentionna cet engagement politique et philosophique, substituant au peintre un brin tapageur le portrait rassurant d’un bon vieux papy peinturlurant dans sa maison de campagne. Au vrai, Camille Pissarro a peu fait concrètement pour la cause anarchiste. En-dehors d’un soutien financier apporté aux familles d’anarchistes emprisonnés ou exilés, d’un bref séjour en Belgique pour échapper à la répression policière après l’assassinat du président Sadi Carnot en 1894, et, à son retour en France, d’une collaboration aux Temps Nouveaux en pleine Affaire Dreyfus, le peintre ne s’est pas pleinement engagé dans la lutte concrète. Au contraire, il n’a pas cautionné l’action directe, alors en vogue dans certains milieux libertaires, et a systématiquement refusé de donner une valeur ouvertement politique à son art : « Y a-t-il un art anarchiste ? Oui ? Décidément, ils ne comprennent pas. Tous les arts sont anarchistes – quand c’est beau et bien ! Voilà ce que j’en pense. »[1]Cependant, mentionner le compagnonnage du vieux peintre aux côtés de l’aventure libertaire eût certainement gâché, selon le musée, l’image que le public bourgeois se faisait du gentil impressionniste. Sans révolutionner la perception de l’œuvre de Pissarro, pareille indication aurait sans doute révélé la singularité de l’artiste parmi les autres impressionnistes. Alors qu’il fait en général pâle figure auprès des monstres Monet et Renoir, l’optique anarchiste amènerait peut-être à mieux comprendre l’intérêt porté par le peintre aux figures du peuple et aux travaux des champs.Au lieu de cette brève et modeste indication politique, l’exposition se contente d’accumuler les clichés sur les impressionnistes : la nature, le plein-air, la décomposition des éléments plastiques… On croirait qu’un seul et même panneau scande le parcours tant les descriptions ne font pas avancer la connaissance de l’auteur et de la peinture impressionniste.De sorte que les seuls commentaires qu’on puisse entendre volent plus bas que les pâquerettes qui fleurissent dans les toiles : « Que c’est beau », « Regarde comme c’est magnifique » et autres stimulations intellectuelles. Non que les toiles de Pissarro soient laides ou inintéressantes ; mais au vu de leur valeur artistique, elles méritent autre chose qu’un banal accrochage salonnier qui présente aux visiteurs aisés un miroir à leur vanité et à leur contentement. Les dernières expositions sur les impressionnistes, comme celle sur Rodin au Grand Palais, n’osent plus prendre le risque de renouveler le discours porté sur des corpus désormais on ne peut plus canoniques. Plus grand-chose ne les distingue d’un simple almanach aux couleurs des impressionnistes, si ce n’est le prix et l’autorité intellectuelle et sociale. Faisant la course aux chefs-d’œuvre et aux clichés toujours plus vendeurs, toujours plus confortables dans le panthéon culturel officiel, ces expositions nient ce qui faisait la valeur même de ces artistes d’avant-gardes : l’alliance de révolutions phénoménologiques et philosophiques et de revendications politiques et sociales.


Pissarro à Éragny. La nature retrouvée, au musée du Luxembourg jusqu’au 9 juillet 2017

Maxime




[1] Les Temps Nouveaux, décembre 1895.