Khalid Lyamlahy : Un roman etranger

Par Gangoueus @lareus
Bon, je suis sur une séquence compliquée. Le roman de Khalid Lyamlahy n’est pas simple. L’homme s’est fait plaisir. Ou plutôt, il lui a fallu beaucoup de plaisir pour produire un tel roman. Le roman étranger. Beaucoup d’exigence, beaucoup d’ab-négation, une culture de l’excellence, du travail bienfait, peaufiné, policé. Le travail d’un artiste besogneux. Un artiste angoissé par le souci du détail, qui trépigne sur la virgule de trop. Khalid Lyamlahy produit là un texte partant sur trois mots, ou trois groupes de mots et il compose sa musique.
Stop. De quoi je parle? Un jeune étudiant devant un guichet de cinéma attend que son tarif « jeune » soit validé. Pour cela, il fournit sa carte de séjour à la guichetière. Alors que celle-ci scrute le document administratif avec minutie, l’étudiant narrateur réalise que son titre de séjour arrive à échéance. C’est le point de départ de cette narration, de ce roman « étranger ». il s’articule avant tout sur le projet d’écriture du narrateur et de toutes les angoisses qui y sont rattachées pour toute personne qui conçoit l’écriture comme un art. Un art.

Récurrence

Le roman est construit  comme un cycle répétitif autour de trois concepts : le cycle constant et incessant du renouvellement du titre de séjour de l'étranger, la possibilité de l’amour et l’évolution d’un projet d’écriture. On repasse donc par les mêmes endroits, les mêmes angoisses. Ce cycle est intéressant. Dans le fond, il est une remise constante de l’identité de l’individu de l’étranger. Pourquoi ce cycle ? On est en droit de penser que l’identité ne saurait se résumer à une simple carte de séjour. Elle ne détermine pas tout, même si, dans le respect du pays qui accueille elle définit l’individu dans le lieu où il y a bien voulu poser bagages. D’ailleurs, le non octroi ne signifie pas le re qui pourrait expliquer le doute, l’instabilité du narrateur... En même temps, je suis très heureux que Khalid Lyamlahy aborde la question sous cet angle Cette carte de séjour dans les cycles réguliers  de son attribution introduit une sécurité... Un des refuges, d un des moyens de s’extraire de cette incertitude peut être l’obtention de la nationalité... Non par adhésion, mais avant tout pour échapper à l’humiliation des queues infinies des préfectures de France et de Navarre… des mamans avec les poussettes.

L'écriture comme bouée de sauvetage ? Non

Un autre refuge est celui de la fiction et de l’écriture. Mais le narrateur est angoissé, névrosé. L’écriture, loin d’être un exutoire est un lieu d’inquiétude, de doute. C’est la deuxième phase du cycle. In clé sentiment d’errance est partagé avec un autre artiste, encore plus déconnecté. Un peintre qui cherche son inspiration, son angle d’attaque pour traiter la question de l’identité… Cette dernière est fragile aussi quand l’homme balbutie devant l’être aimé. Quand le logos s’avère littéralement stérile, incapable de libérer les mots qui expose à une nouvelle forme de refus ou d’acceptation.
Le roman étranger est un texte sur l’identité immédiate. Il est travaillé dans le détail. On sait en lisant que Khalid Lyamlahy a retravaillé ses phrases comme un sculpteur de la Renaissance, laissant des indices, usant de métaphores, de signes que le lecteur attentif saura reconnaitre. La trame n’est pas importante même si le sujet matche avec l’actualité. Ce roman étranger est grand dans son style, son audace, le travail minutieux de l’auteur. Et celles et ceux qui ont fait le parcours du combattant du préfecture d’Ile de France, le liront avec beaucoup d’émotion.


Khalid Lyamlahy, Un roman étranger

Editions Présence Africaine, Première parution en 2016