Challenge critique 2017 : Vincent Gayraud

Publié le 22 avril 2017 par Aicasc @aica_sc

© Photo Robert Charlotte

https://aica-sc.net/2017/04/22/challenge-critique-2017-christian-bertin/

 Mur d’enceinte de métal rouillé et enchevêtré, palissade recouverte de couvercles de pots de peinture ponctuant la surface tels des médaillons d’une architecture antique, tels une forêt impénétrable cachant aux regards trop curieux un cimetière d’épaves d’un monde de l’abus, un monde du déchu, de l’oubli et du rejet dans lequel reposent des pièces en cours, en gestation, des œuvres en sommeil, des matériaux abandonnés à la merci de la nature et des éléments, entassements, amas, agrégats, décharge d’une société en attente d’une seconde vie.

Voilà, on pénètre dans l’univers sanctuaire de Christian Bertin.

 Il œuvre là, ouvrier de l’art, tous les jours s’attelant dès son arrivée à son labeur en cours.

Entre roches écrasées, brulées, calcinées par le soleil âpre de la côte caraïbe et la masse bleue, frontale de la mer, il construit une œuvre, il construit son œuvre.

Une œuvre à part.

Une œuvre d’écorché, une œuvre de blessures, une œuvre de peaux à vifs, de loques, de croûtes, de rouille, de bois calciné, de bidons itinérants et de tambours de machine à laver en lévitation.

Des oripeaux de vêtements rigidifiés, pétrifiés par la vision imaginaire et implacable d’une Gorgone cynique posant un regard froid sur les débris d’une société en dérive, marquent l’entrée de son antre.

Les œuvres s’amassent, se juxtaposent, se confrontent, s’affrontent, s’associent, s’interpellent, nous interpellent.

Sont-elles encore des œuvres, ici, dans ce lieu?

Ne font-elles pas déjà partie de ce coin de terre qui les ronge et qui les a façonnées?

Œuvres, mémoire d’œuvres, œuvres de mémoire ?

Pourront-elles un jour s’en échapper, gagner un ailleurs, porter un message à qui peut l’entendre, à qui veut l’entendre ?

 Accumulation, agglomération, hybridation, superposition, recouvrement…Il s’agit là d’un art brut, un art rude, un art frustre, un art pauvre. Un art qui questionne, qui questionne cette sociéte caribéenne qui ne trouve pas sa place, qui ne se projette que par la possession, l’affirmation d’une vie facile et glorieuse, qui hésite entre tradition, mémoire, identité, modernité, exotisme, revendication et avant-garde.

 Qui questionne aussi cette l’histoire de l’art qui semble oublier ceux qui se trouvent hors des sentiers battus, des sentiers violentés. Les caraïbes ont-elles au final leur place dans l’art contemporain?

Là, semble être la question posée par Christian Bertin.

 Bien sûr on pense à l’arte povera, bien sûr on pense aux nouveaux réalistes, bien sûr on pense à Arman, à César, à Spoerri, Ben, Pages, au manteau d’ Etienne Martin…mais aussi quelque part à  Christian Lavier dans ses superpositions d’objets, cette matière qui les recouvre et les transforme.

Il se revendique autre, il est autre. Autre dans ses sculptures, autre dans ses peintures, autre dans ses performances.

 Ses références le portent également vers des forces d’ici, Suffrin, Césaire , il s’en nourrit.

Mais au final, il en  joue, déjoue les rapprochements faciles.

Courbet, Géricault, Rembrandt,  il les mixe, les surcharge, il les malmène, il les englue d’une pate épaisse, les donne en pâture à des termites ouvrières, les calcine, se les approprie,

Il entremêle, il amalgame, il édifie, il poursuit sa route.

Il prédigère l’histoire de l’art d’ici, d’ailleurs pour en extraire les failles, les blessures et les forces.

Il créée sa voie. A nous maintenant de la parcourir et de la rendre nôtre.

     Vincent Gayraud

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