521ème semaine politique: Macron a déjà un genou à terre.

Publié le 29 avril 2017 par Juan

Où il est question d'un Macron qui peut perdre, d'une Le Pen qui joue à Sarko version 2007 à coups de mises en scène médiatiques, et d'une France insoumise qui essaye d'éclairer les ténèbres.


Ralliements sans surprise
Le premier tour a été à la hauteur de cette campagne présidentielle improbable: il a dégagé les représentants des deux partis dits de gouvernement. Les deux ont été disqualifiés de façon humiliante: Fillon a perdu une élection qualifiée d'imperdable. Hamon s'est effondré à 6% des suffrages, une véritable pasokisation. Ce premier tour a aussi qualifié sans surprise sauf celle d'une seconde place la représentante de l'extrême droite française. Il s'est enfin, et surtout, révélé plus mobilisateur que prévu.
Dès dimanche soir, Fillon, Juppé, Raffarin, Duflot, Hamon et de nombreux autres héritiers d'un bipartisme moribond appellent à voter Macron. Comment pouvait-il en être autrement ? Il y a bien l'homophobe Christine Boutin qui tweete avec rage son soutien "révolutionnaire" à Marine Le Pen. Il y a bien Laurent Wauquiez qui n'ose prononcer le nom de Macron si attentif qu'il est vis-à-vis des thèses frontistes. Mais pour le reste, le ralliement est évident, rapide, immédiat. "Ni de gauche, ni de droite", Emmanuel Macron est la meilleure synthèse politique des politiques des 15 dernières années: une politique de l'offre couteuse et inefficace dont le bilan fut, outre une crise financière, 600 000 chômeurs de plus pour chacun des quinquennats Sarkozy puis Hollande; libéralisation progressive du marché du travail aux détriments des salariés les plus fragiles,
En prenant à droite "et en même temps" à gauche, en triangulant systématiquement le PS et les Républicains, Macron a uberisé les représentants du système.
Mélenchon contre Macron
Le plus odieux de la séquence depuis dimanche n'est pas tant la défaite de Jean-Luc Mélenchon qe l'absence d'analyse politique, de recul et d'honnêteté, et les accusations outrancières lancées dès le soir du premier tour contre celles et ceux qui, interloquées, ne pouvaient se résigner à se coucher aussi vite. L'injonction de plus en plus violente, sans autre pédagogie qu'un "soumets-toi sinon tu es un salaud, un trouillard ou les deux" à choisir de soutenir la cause du Mal pour lutter contre le Mal est symptomatique de l'effroi de certains. Libéralisme précarisant contre national-socialisme raciste, qui ne voit pas qu'il y a un dilemme ?
Rares sont les soutiens de Macron à tenter de persuader par l'argumentation positive qu'il faut voter pour leur champion. On en trouve quelques-uns à détailler les convergences politiques - il y en a - entre les programmes de Mélenchon et de Macron.
Les plus bruyants vomissent à tour de bras contre Mélenchon et ses supporteurs. Ils ne comprennent pas qu'ils creusent leur tombe politique à jouer ainsi les pompiers pyromanes. Ils font mine de ne pas comprendre l'essentiel:  pourquoi donc la même famille Le Pen est-elle parvenue à se qualifier au second tour de la présidentielle à 15 ans d'intervalle ? A cause de Mélenchon, des anti-sarkozystes, des frondeurs ou autres composantes des opposants aux politiques socio-économiques menées depuis 15 ans ? N'ont-ils rien compris ?
Certains macronistes ont bien sûr compris, d'où cette rage qui les saisit. Ils ont compris que les Insoumis ont compris. 
Le candidat de la France insoumise se tient à la seule position que mérite la période: calme, gravité, et une consultation populaire pour savoir quoi de l'abstention, du vote blanc ou du vote Macron est le plus souhaitable. Ce recul force à la prise de conscience, c'est le premier acquis de cette séquence. C'est aussi l'une des décisions les plus difficiles et les plus courageuses. Ne pas céder à l'oukaze ni à l'émotion, ne pas céder à la facilité de l'aveuglement, c'est prendre le risque de prendre des coups. Les Insoumis marchent sur une crête, le plus longtemps possible, pour éclairer les consciences sur la réalité: le programme Macron est la synthèse de 15 ans d'échecs politiques qui aboutissent aujourd'hui à un vote de 7 millions de voix pour l'Immonde.
En 2002, Jacques Chirac nous a planté. Élu avec 80% des voix contre un néo-fasciste, il n'a rien fait, bien au contraire. Il a nommé Sarkozy au ministère de l'intérieur et conduite la droite vers la dérive sécuritaire, prélude au désastreux quinquennat Sarkozy cinq ans plus tard. Sa seule intelligence politique du moment fut de snober Le Pen et d'en appeler au rassemblement contre l'Immonde.
Le désastre intellectuel
Quinze ans plus tard, Mélenchon refuse d'abjurer comme l'exigent, avec des arguments de plus en plus violents, les zélateurs de Macron. Sur Europe 1 dès le lundi matin, le philosophe rémunéré Raphaël Enthoven explique que Mélenchon et ses soutiens n'osent appeler à voter Macron car ils n'osent avouer leur proximité politique avec le diable Le Pen. Ne vomissez pas, ce n'est pas fini.
Le charmant fiston Glücksman, qui avait eu ce bon sens historique de réclamer à Mélenchon de se désister pour Hamon il y a quelques semaines (ne riez pas), explique que "les doutes sur son attachement à la démocratie sont confirmés."... Autant d'intelligence pour aussi de peu de jugeote, quel gâchis. Non moins pire fut BHL qui déclare sur Twitter à propos de JLM que "sa proximité avec Le Pen est désormais avérée." D'autres apprentis intellos évoquent le "lepenotrotskysme" des Insoumis. Le journaliste Bruno Roger Petit, qui trinquait à la Rotonde avec Macron au soir du 1er tour, qualifie Mélenchon "d'idole de la droite identitaire".
Le Nouvel Obs publie un éditorial au titre lunaire: "Mélenchon, sans-culotte ou sans c... ?" Libération convoque son envoyé spécial en Italie pour prouver que Mélenchon est plus proche du clown xénophobe Beppe Grillo que de Bernie Sanders.
Le début de campagne de second tour d'Emmanuel Macron est désastreux.
Le garçon commet plusieurs ratages: son discours de premier tour est plat et sans gravité, sa fête filmée dans un restaurant lui restera ensuite longtemps. Lundi, il est absent. Il joue aux triomphants avec un détachement qui écœure. Mardi sur France 2, il choisit de défendre son projet pour convaincre de voter pour lui. Il ne comprend pas que son projet politique est justement la première sinon l'unique raison pour laquelle des électeurs mélenchonistes risquent de ne pas voter pour lui. Cette absence de lucidité politique, venant de quelqu'un qui a pourtant bien joué la séquence précédente, est surprenante.

Mercredi, Marine Le Pen fait des selfies dans l'usine Whirlpool, Macron déboule quelques heures plus tard sous les sifflets mais a le courage de l'explication avec les syndicats puis des ouvriers sur place. Ce moment de courage politique est à son crédit. Le lendemain, Macron tente de convaincre qu'il voudrait "punir la Pologne" pour la délocalisation d'une usine Whirlpool d'Amiens à Lodz en Pologne. Le remords est tardif.
A Paris, Manuel Valls braille qu'il veut participer à la prochaine majorité politique. La défaite l'a rendu neuneu.
L'Immonde peut gagner.
Ne nous voilons pas la face. Marine Le Pen peut gagner. Le programme de Marine Le Pen est une catastrophe. Les soutiens politiques de Marine Le Pen sont une catastrophe. Marine Le Pen est une catastrophe. Imaginez un gouvernement frontiste, Robert Ménard à la Culture ? Marion Maréchal-Le Pen aux droits des femmes ? David Rachline au Budget ? Bruno Gollnisch à l'Education nationale ? 
"Nous démarrons cette campagne à 40-60, si on regarde les sondages. Dix petits points, croyez-moi, c'est parfaitement faisable, d'autant plus que monsieur Macron a bénéficié, il faut bien le dire, d'une forme de brouillard." Marine Le Pen, au lendemain du premier tour.
Lundi, l'ancienne porte-parole de Jean-Marie Le Pen annonce qu'elle se met en congé de la présidence du Front National. Elle veut s'adresser à tous les Français. Ses militants publient des affichettes pour convaincre les électeurs de Mélenchon. La belle affaire! Marine Le Pen a confié la présidence du FN à un révisionniste. Rien que ça. Vendredi, elle le dégage pour le remplacer par le maire d'Hénin-Beaumont.
Pour sa campagne de second tour, Marine Le Pen fait du Sarko version 2007. Elle simplifie ses arguments déjà caricaturaux, et, surtout, tente de déborder son adversaire préférée sur la gauche. Elle multiplie les visites scénarisées. Selfie (raté) avec une ouvrière en pleurs ou selfie (réussie) avec un pêcheur (qui par ailleurs est un militant frontiste), meetings pharaoniques et sourire forcé pour faire apaisée. Marine cherche à se présidentialiser comme hier Nicolas.
Marine Le Pen et son parti doivent également 5 millions d'euros aux contribuables européens. A vous, à moi. C'est la facture chiffrée par le Parlement européen dans l'affaire des emplois fictifs d'assistants parlementaires européens frontistes. Marine Le Pen elle même a salarié son compagnon. Louis Aliot fut la Pénélope de Marine Le Pen.
Jeudi 27 avril à Nice, les militants de cette "France apaisée" que défend Marine Le Pen, braillent "Macron, on t'encule" devant les caméras de télévisions. C'est l'un des autres aspects déplaisants d'une victoire frontiste: les dangereux ont la parole violente plus libérée qu'avant. Sur l'estrade, Marine Le Pen virevolte - elle ne veut plus sortir de l'UE, mais simplement un référendum. Elle est plus molle voire silencieuse sur la sortie de l'euro (qui ruinerait les retraités). "La priorité, c'est la fermeture des frontières, l'immigration, l'emploi. Le reste, c'est un long processus de négociation" explique un conseiller. 
Les ratages de Macron lui coûtent. Le voici qui commence à s'effondrer de 6 points en moins d'une semaine dans les sondages face à Marine Le Pen.
Vendredi, Mélenchon sort de son silence. 
Il a réussi à démasquer l'oligarchie braillarde. Il s'exprime calmement. Il détaille ce qui s'est passé. Il sort du 140 caractères, du slogan facile. Il confie sa déception. "Il faut toujours penser qu'on peut y arriver. (...) Il faut franchir l'étape qui se présente aujourd'hui. Il faut rester regroupé."
Il déclare, aussi et surtout, qu'il ne s'abstiendra pas le 7 mai prochain.
Nous non plus.
Il refuse les injonctions.
Nous également.
Il explique que cette élection du 7 mai est perdue, qu'elle est sans intérêt autre que d'éviter Le Pen ("Y-a un doute ? Un doute sur moi ? Un doute sur ce que je pense du Front national ?"). Et qu'il faut penser à la suite, les élections législatives. La France insoumise terrifie par ses scores dans bien des circonscriptions.
"Il n'y a pas de doute sur qui nous sommes." Jean-Luc Mélenchon.
"Ce qui nous est demandé, ce n'est pas un vote antifasciste" explique-t-il, "c'est un vote d'adhésion. Non, nous n'adhérons pas à ce projet." Effectivement, Macron l'a dit, et dès le surlendemain du premier tour. Mélenchon ne dit pas pour qui il votera. Pour une raison simple, triviale: "pour que vous restiez regroupés". Les quelques jours écoulés ont révélé combien les déchirements étaient faciles et rapides sur la question du vote du second tour. Que des macronistes ou d'autres qui n'ont jamais soutenu la France insoumise hurlent contre Mélenchon est sans importance.
Le 7 mai, vote blanc ou vote Macron  seront 2 votes hostiles à Marine Le Pen. Car l'on peut sans conteste estimer que les électeurs du FN seront parmi les plus motivés dans l'isoloir pour exprimer leur rage et leur espoir. On sait aussi que seul le vote Macron éteindra Le Pen, on sait aussi que cette victoire sera provisoire puisque Macron ne représente aucune solution. 
On le sait. Et pourtant il fallait prendre ce temps du débat, du recul et de la réflexion pour ne pas laisser ces chantages de second tour écraser des mois de campagne et l'espoir qui renaît. Si Macron s'effondre encore davantage, nous voterons contre Marine Le Pen, sans souci. Pour la dégager, avant de faire barrage à l'autre, mais ensuite. Macron semble déjà avoir avoir un genou à terre. Macron est fragile. Il sera sans doute élu, mais si fragile.
Ami(e) citoyen(ne), prépare-toi.