LA NOUVELLE EDUCATION DEMOCRATIQUE: Pourquoi nous en sommes là ?

Publié le 02 mai 2017 par Valabregue

LA NOUVELLE EDUCATION DEMOCRATIQUE: Pourquoi nous en sommes là ?

Une démocratie fondée sur l’intelligence ne peut exister que si elle traite le problème des conditions psychologiques qui permettent à chacun de se construire dans un rapport non névrotique au réel. Nous n’en sommes pas là. 
La démocratie n’est pas une tentation ; elle est une aspiration. Notre pente naturelle nous conduit à la régression autoritaire. L’esprit démocratique doit s’apprendre. Il a besoin de formation. Cette formation doit essentiellement reposer sur un diagnostic concernant les besoins, les désirs, les peurs et les haines des individus, des groupes et des institutions et un traitement thérapeutique qui par nature ne peut s’adresser qu’à des individus en relation. 
Une nouvelle éducation civique devra nous apprendre à connaître ces besoins, ces émotions, ces passions et nous donner des outils pour les réguler. Cette formation à la démocratie ne pourra pas être un endoctrinement ou une propagande car alors le résultat atteint serait le contraire exact du but poursuivi. On n’enseigne pas la démocratie avec des méthodes qui ne sont pas démocratiques. 
Or, actuellement, nos institutions socioculturelles –l’école ou les partis, par exemple- ne sont pas des institutions démocratiques car elles sont infantilisantes et méprisantes et ne préparent pas les individus à l’autonomie, à la prise de conscience, à la créativité et à la confiance en soir qui sont les conditions indispensables au fonctionnement d’une intelligence adulte.

Déjà, à la fin du XIXème siècle, Jean Jaurès avait compris les raisons pour lesquelles les révolutions –qui tendent à libérer le peuple du despotisme – finissaient toujours par lui échapper : « Qu’est-ce qui manque le plus au peuple, dans l’ordre intellectuel et moral dont tout le reste dépend ? C’est le sentiment continu, ininterrompu, de sa valeur » (La Dépêche, 14 juillet 1889). 
Aujourd’hui, plus que jamais, le peuple a perdu le sentiment de sa valeur car il a l’impression que le monde de la science et de la technique ne peut être appréhendé que par des experts. C’est tout le problème de ce qu’Edgar Morin appelle « la démocratie cognitive ».
Le monde d’aujourd’hui apparaît comme le monde de la complexité, pour ne pas dire de la complication : la multiplicité des informations, les interactions économiques mondiales, la bureaucratie administrative…renforcent ce sentiment de dépossession qui et lui-même rendu plus aigu par un système d’enseignement qui fait croire à ceux qui ne savent pas que d’autres maîtrisent le savoir et peuvent par conséquent prendre seuls les décisions importantes. 
Où est la démocratie dans ces conditions si le peuple n’a pas le sentiment qu’il peut lui-même participer à la réflexion sur les choix et les décisions qui touchent à l’essentiel de sa vie quotidienne ? 
L’absence de démocratie conduit fatalement au despotisme. Ce qui paraît un pléonasme, une vérité de La Palice, représente le danger le plus grave auquel nous aurons à faire face : l’homme dépossédé de son pouvoir, réduit à l’infantilisation et à la frustration de ses besoins les plus importants –amour de soi, valorisation, reconnaissance- verra monter en lui une violence aveugle et destructrice. Le sentiment de dépression se transformera en agressivité sadique et persécutrice, bref en une folie, qui pourra devenir rapidement contagieuse et collective. 
Aujourd’hui, notre démocratie, notre esquisse de démocratie, si imparfaite et si incomplète, est gravement menacée par l’envahissement des passions les plus archaïques. Pourquoi aujourd’hui ? La démocratie, c’est du conflit et des règles. C’est un cadre, un espace et ce n’est pas l’anarchie qui laisse les plus forts dominer les plus faibles. Le manque d’une véritable éducation à la démocratie ne favorise pas l’esprit critique du citoyen et sa résistance aux propagandes diverses. De plus, si l’on admet que la démocratie, c’est le libre débat qui utilise dans un esprit de coopération le jugement critique et la prise de conscience lucide des affects, il est certain que les circonstances extérieures ne sont guère favorables. 
L’absence de satisfaction de nos besoins essentiels et légitimes d’affectivité, de reconnaissance, de valorisation et de sécurité nous pousse à les satisfaire malgré tout de façon quasi pathologique. Le sentiment de mépris et l’absence de pouvoir réel sur la vie entraînent une profonde dévalorisation et une perte du sentiment de confiance en soi chez la plupart. L’effondrement des systèmes politiques traditionnels, les changements considérables dans les mœurs, les techniques et l’économie, la disparition du monde rural et même du monde industriel, les changements des rôles de l’homme et de la femme, les inquiétudes pour l’avenir mettent en péril le sentiment de sécurité. 
L’éclatement des structures familiales, les sentiments de solitude, l’effacement des solidarités traditionnelles nous font ressentir plus cruellement encore le manque d’amour et d’affection. La porte est ouverte alors sur la satisfaction pathologique de ces besoins de base : le narcissisme de groupe, qui permettra à l’individu de compenser une valorisation individuelle défaillante, du vivre l’amour dans la fusion chaleureuse du groupe et de sentir avec certitude qu’il fait partie du camp des élus.

Dans son discours du 17 août 1789 sur la déclaration des Droits de l’Homme, Mirabeau montre bien que les obstacles à une démocratie véritable, sont les « absurdes oppressions », les « préjugés d’ignorance et de cupidité » et les « jalousies insensées », c'est-à-dire en fait les passions, irrationnelles par essence. Il serait bon qu’on se préoccupe enfin de réfléchir aux conditions psychologiques qui permettront l’existence et la pérennité d’un régime fondé sur la liberté, l’égalité et la fraternité des citoyens. 
A mon avis, la première de ces conditions, c’est de prendre en compte les « absurdes oppressions » : compréhension et traitement des causes du désir de domination et de maîtrise de l’autre, compréhension des attitudes de mépris, des attitudes de soumission et d’idolâtrie de la puissance. Il nous faut, pour relever ce défi, une véritable formation à la coopération. 
La seconde condition concerne ce que Mirabeau appelle les « jalousies insensées » : compréhension et traitement de la peur et de la haine pathologiques (« insensées » ) quand elles ne sont pas justifiées par des dangers réels. Cela appelle une formation à la confiance en soi et à la connaissance de soi. 
Il s’agit enfin de prendre en compte les « préjugés » : prise de conscience des éléments affectifs et irrationnels qui empêchent une vision lucide et objective des problèmes à résoudre. Il nous faut donc, à cet égard, une formation au jugement et à l’esprit critique.

On le voit bien, même si les formes prises par les aliénations sont différentes selon les époques, les causes profondes ne changent pas .Les conditions politiques, économiques et sociales ne doivent pas être séparées des conditions psychologiques. Ce sont ces dernières qu’on néglige le plus souvent, parce qu’elles supposent une mise en question de nos comportements individuels. 
En fin de compte, la démocratie, c’est la coopération, la possibilité de résoudre ensemble les problèmes et les conflits, en parvenant à prendre conscience des passions, des émotions et des préjugés « insensés » qui nous manipulent. 
Elle suppose l’écoute, le dialogue, la sincérité et l’objectivité, conditions indispensables à son exercice quotidien et effectif. Elle doit s’apprendre. 
Faute de cet apprentissage, le danger est grand de voir les conflits individuels et collectifs non résolus se transformer en recherche de boucs émissaires et en tentation totalitaire.

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