Il est apparu à 78 ans sur la scène de l’art contemporain en 2004 à Séville, introduit par le grand Harald Szeemann, la dernière exposition de ce dernier. Il a obtenu le Prix Découverte aux Rencontres photo d’Arles en 2005. Je l’avais découvert à la FIAC; fasciné, j’étais allé voir sa première exposition muséale à Zurich l’été 2005. Il a aujourd’hui 82 ans et la consécration pour lui est cette exposition au Centre Pompidou (jusqu’au 22 septembre); mais il n’a pas quitté sa petite ville de Moravie depuis 50 ans et ne prend aucune part active dans ses expositions, ni dans toute la promotion faite autour de lui. Pourtant, Miroslav Tichy est devenu en quatre ans une figure reprise et intégrée par le système artistique, on écrit sur lui (tout récemment le catalogue, et un livre en anglais bientôt ici), on fait l’exégèse de son travail, on étudie ses parentés avec d’autres courants artistiques, d’autres démarches, on l’a extrait de l’univers ‘art brut’ pour l’insérer dans l’art contemporain.
Ce qui frappe au premier abord, dans les livres, les vidéos et dès l’entrée de l’exposition, c’est qu’on présente d’abord la figure de l’homme, à demi-clochard barbu, chevelu, sale, et, au même premier niveau de présentation, ses appareils photos, qu’il construit lui-même avec boîtes de conserves, tuyaux de plastique, capsules de bière, élastiques de caleçon et verres de lunettes repolis. Comment peut-on prendre des photos avec ces monstres, et surtout les photos qu’on va voir ? C’est d’abord la fascination pour cette posture, pour cette ingéniosité, ce bricolage qui s’installe.
Ensuite, on regarde les photos. En commençant par la salle à droite, on voit des femmes, des corps de femme, des baigneuses, des marcheuses, des corps entiers, plus loin des morceaux de corps, fesses, jambes, poitrine (et trois photos métonymes de ‘contenant-pour-le contenu’ : des soutiens-gorge à l’étal ou séchant sur un fil). Car Tichy est avant tout un chantre de la beauté féminine. Un des effets du Coup de Prague en 1948 fut apparemment que les communistes interdirent les modèles féminins nus à l’Académie des Beaux-Arts où il étudiait : Tichy va passer sa vie à tenter de retrouver cette beauté classique, dans les rues de sa petite ville.
Mais tout autant que l’image représentée sur la photo, c’est la photo elle-même qu’on regarde, je veux dire l’objet photo lui-même : chacun est un objet unique, magique, comme une icône. D’abord les photos sont ‘mal faites’, surexposées ou sous-exposées, tâchées de bromure, craquelées, et ces défauts, ces lacunes, ces erreurs assumées leur donnent une étrange poésie. La dernière salle de l’exposition porte sur le thème de l’apparition du corps de la femme (souvent sur un écran de télévision, dans des programmes softporn autrichiens qu’il pouvait capter) et sa disparition, sa mise au noir, son évanescence. Les dernières photos y sont à peine lisibles, des seins ici, des jambes là, on ne sait.
De plus, beaucoup de ces photos (toutes des tirages uniques faits par lui de manière anarchique et primitive) sont encadrées d’un passe-partout coloré, dessiné. Peintre et dessinateur de formation, il porte sa marque sur la photo elle-même (retouchant au crayon ou au stylo, soulignant les courbes du corps ou les traits du visage) et sur le cadre, créant un objet unique, hybride, qui retrouve ainsi son aura, que la reproduction mécanique aurait pu dissiper.
Un peu plus demain. Toutes les photos proviennent de la Fondation Tichy Ocean. Elles ne sont pas datées (ni d’ailleurs datables, sinon entre 1960 et 1990, à peu près).