Hécatombe dans la famille de Louis XIV

Par Plumehistoire

   

   En ce début d’année 1711, Louis XIV est un monarque vieillissant de plus de soixante-dix ans. Son autorité est reconnue et respectée dans toutes les Cours d’Europe. Il peut se targuer d’être le plus puissant Roi du monde.

   Une domination qui passe par sa descendance, bien pourvue en mâles, vitrine de sa souveraineté. Ils garantissent une continuité dynastique sur plusieurs générations. Une confiance en l’avenir qui va, au cours des quatre années qui lui restent à vivre, être terriblement mise à mal…

Une descendance assurée

   Louis XIV a eu six enfants de son union avec Marie-Thérèse d’Autriche. Un seul a survécu : Louis, Monseigneur, dit le Grand Dauphin. Destiné à succéder au Roi-Soleil, le Grand Dauphin est lui-même père de trois enfants mâles : l’aîné, Louis, duc de Bourgogne et héritier de la couronne, Philippe, duc d’Anjou devenu en 1700 Roi d’Espagne sous le nom de Philippe V, et enfin Charles, duc de Berry.

   Le jeune duc de Bourgogne, marié à Marie-Adélaïde de Savoie depuis 1697, est père de deux enfants bien vivants : un petit duc de Bretagne, l’aîné, et un duc d’Anjou encore au berceau.

   Fait unique dans toute l’histoire de France : un Roi a pour lui succéder un fils, deux petits-fils et deux arrière-petits-fils ! C’est l’assurance d’une stabilité monarchique qui fait moins redouter à Louis XIV sa propre disparition. Mais c’est bien connu, rien ne se passe jamais comme prévu !

Mariage de Louis, duc de Bourgogne et aîné des petits-fils de Louis XIV, avec Marie-Adelaïde de Savoie, par Antoine Dieu (réalisé en 1715 et conservé dans les collections du château de Versailles – détail)

La mort de Monseigneur le Grand Dauphin

Le Grand Dauphin, fils de Louis XIV, en 1693 (détail d’une peinture de Jeremie Delutel d’après Mignard)

   Monseigneur est alors un homme de cinquante ans (un âge respectable pour l’époque), qui n’entretient pas de relations très intimes avec son père Louis XIV, mais qui lui voue une grande admiration et un profond respect. Déjà lui-même père et grand-père, il végète dans l’attente du trône. Doté d’une forte corpulence qui lui vient d’un manque d’exercice physique, il a déjà essuyé quelques accidents de santé.

   Mais voilà qu’en 1711, on craint réellement pour sa vie. Le soir du 19 mars, il fait un malaise… après avoir englouti trop de poisson. Il se remet, mais est contraint de garder le lit pendant plus d’une semaine. Louis XIV a eu bien peur, et tout Paris fête sa rémission.

   Cependant le 9 avril, le Grand Dauphin est victime d’un nouveau malaise au moment de son lever. Le diagnostic cette fois est sans appel : il est atteint par la petite vérole. On le transporte à Meudon, sa résidence privilégiée, où Louis XIV vient le rejoindre. Le 12, Monseigneur commence à délirer et l’accès à sa chambre est interdit, sur ordre même de Louis XIV.

   Les jours suivants, Monseigneur semble se remettre progressivement, mais au soir du 14 avril, il fait une dramatique rechute qui lui est fatale : il meurt à onze heures du soir. Dévasté, Louis XIV écrit quelques jours plus tard à son petit-fils devenu Philippe V d’Espagne :

J’ai perdu mon fils et vous perdez en lui un père qui vous aimait aussi tendrement que je l’aimais lui-même. Il méritait toute mon amitié, par son attachement pour moi, par son attention continuelle à me plaire, et je le regardais comme un ami à qui je pouvais ouvrir mon cœur et donner toute ma confiance.

   Dès le 15 avril, le duc et la duchesse de Bourgogne reçoivent respectivement les titres et prérogatives de Dauphin et Dauphine de France.

   Les obsèques sont organisées rapidement, par peur de la contagion, et le 17 avril le cercueil de l’héritier est conduit jusqu’à Saint-Denis pour y être enseveli. La cérémonie, officiée le 18, est présidée par Louis de France, duc de Bourgogne, fils aîné du défunt et nouvel héritier du royaume.

Le couple Bourgogne emporté

La mort du Grand Dauphin avait fait impression sur Louis XIV. Elle lui avait fait sentir la durée anormale de son gouvernement et l’avait convaincu d’organiser la transition vers un nouveau règne qui ne devait plus tarder.

   Le duc et la duchesse de Bourgogne se sentent prêts à assurer la relève. Consciencieux, pieux et profondément bon, désireux d’inaugurer un règne nouveau tout entier tourné vers le bonheur des peuples, le duc de Bourgogne travaille en permanence et se tient au courant des affaires d’Etat. Son épouse Marie-Adélaïde de Savoie est une jeune femme intelligente qui a les pieds sur terre. Véritable animatrice de la Cour, elle est très appréciée de Louis XIV, qui voit en elle la véritable future tête politique du couple.

   Cependant Marie-Adélaïde n’est pas d’une santé florissante. Fatiguée par ses grossesses, elle continue néanmoins à tenir son rang et ne se ménage jamais. Elle prend beaucoup sur elle.

   Dans la nuit du 7 au 8 février 1712, à Versailles, la Dauphine est prise de vomissements accompagnés de convulsions douloureuses qui ne cessent qu’au petit matin. Le soir du 8, le verdict tombe : elle est atteinte de la rougeole. Tandis qu’elle se remet, aidée par des gouttes d’opium, le Dauphin à son tour se sent mal.

   Il se rétablit, mais Marie-Adélaïde est victime d’une terrible rechute au soir du 10 février. Sept médecins se relaient à son chevet, et on peut facilement imaginer qu’ils aggravent le mal, ne trouvant évidemment rien de mieux à faire que de saigner leur illustre patiente. Sentant sa fin approcher, la Dauphine murmure, désabusée : « Princesse aujourd’hui, demain rien, dans deux jours oubliée… »

   Souffrant atrocement, la jeune femme perd connaissance le 12 février 1712 et meurt dans la journée, tout juste âgée de vingt-six ans. Une autopsie pratiquée deux jours plus tard révèle qu’elle était enceinte de six semaines.

   Louis XIV est très atteint par la mort de celle qui enchantait, par son humour et son esprit, sa vie quotidienne languissante. Le monarque voit disparaître l’unique plaisir de ses vieux jours, la seule qui était capable de l’égayer, en même temps qu’il voit s’effondrer tous les espoirs politiques qu’il plaçait en elle. Sa douleur est terrible.

Marie-Adelaïde de Savoie, duchesse de Bourgogne, d’après Jean Baptiste Santerre en 1709 (château de Versailles)

   Réfugié à Marly, il est rejoint par son petit-fils, que l’on doit arracher à son appartement de Versailles dans lequel il s’est retranché, écrasé de douleur. Assommé par la perte de son épouse adorée, le Dauphin ne parvient pas à reprendre ses esprits. Il s’affaiblit. Le Roi est épouvanté lorsqu’il découvre sur son visage les mêmes marques rougeâtres qui ont défiguré la Dauphine.

   Le duc de Bourgogne doit s’aliter dès le 15 février. Dans la nuit du 17 au 18, le mal empire, il est même victime d’une crise de délire : ses domestiques doivent s’y mettre à plusieurs pour le maintenir sur son lit. Résigné, il se laisse mourir et rend son âme à Dieu le matin du 18 février 1712, âgé de vingt-neuf ans, « six jours après l’épouse qu’il avait passionnément aimée ».

   Les cœurs du Dauphin et de la Dauphine sont déposés au Val-de-Grâce, leurs corps conduits à Saint-Denis pour une cérémonie commune, dans la consternation et la tristesse générale.

Le duc de Bretagne achevé par les médecins

Le duc de Bourgogne, père des ducs de Bretagne et d’Anjou, par Hyacinthe Rigaud (château de Versailles)

   Dès le 20 février, Louis XIV confère au duc de Bretagne, fils aîné du couple défunt, un beau garçon vigoureux de cinq ans et demi, le titre de Dauphin. Le pauvre enfant s’exclame alors, se tournant vers sa gouvernante : « Oh ! maman, ne me donnez pas ce nom, il est trop triste. »

   Le 26 février, une forte fièvre se déclare chez le Dauphin. Le 7 mars, lui et son petit frère le duc d’Anjou portent les marques de la rougeole… On se hâte de les baptiser en leur conférant le prénom de Louis à tous les deux.

   Les médecins s’acharnent sur le Dauphin dans l’espoir de sauver celui qui représente l’avenir de la dynastie. Saignées et purges le précipitent dans la tombe : il s’éteint dans la nuit du 8 mars.

Le lendemain, le spectacle de son petit chien prostré gémissant à la place ordinaire de son maître dans la chapelle arracha des sanglots à toute la Cour.

   Son très jeune frère le duc d’Anjou est aussi gravement atteint. Cependant sa gouvernante, Madame de Ventadour, épouvantée par le décès de l’aîné, s’oppose vigoureusement à la saignée. Elle obtient gain de cause. Assistée de la sous-gouvernante Madame de Villefort, elle soigne le petit Louis en lui faisant ingurgiter biscuits et vin, le gardant bien au chaud.

    Le 10 mars, tandis que le corps du duc de Bretagne rejoint ceux de ses parents à Saint-Denis, son frère, soustrait aux médecins, se rétablit. Il se voit attribuer le titre de Dauphin par Louis XIV. Épithète qui semble porter malheur : le duc d’Anjou est le quatrième prince de la maison de Bourbon à porter ce titre en moins d’un an !

   Pourtant, dès le 12 mars, il semble définitivement guéri, grâce aux bons soins de Madame de Ventadour, qui refuse toujours obstinément de le laisser approcher par les médecins : « Elle sauva ainsi d’une mort certaine le futur Louis XV ».

Le stupide accident du duc de Berry

   En cette tragique année 1712, il reste encore à Louis XIV un petit-fils susceptible de ceindre la couronne, dans le cas malheureusement prévisible où le Dauphin de deux ans ne survivrait pas à l’enfance. La condition de l’accession au trône d’Espagne de Philippe a été la renonciation à la couronne de France, mais il reste encore le dernier fils du Grand Dauphin, Charles, duc de Berry.

   Compte tenu du très jeune âge du futur Louis XV, le Roi-Soleil peut craindre que le duc de Berry sera amené à exercer une régence en faveur de son jeune neveu, voire à monter sur le trône.

   Doutant des capacités de son petit-fils à tenir les rênes du gouvernement, il n’en décide pas moins de le préparer à ses fonctions en lui confiant de nouvelles responsabilités. Il lui accorde, ainsi qu’à son épouse, un nouveau logement à Versailles, digne de leur futur rang.

   Charles de Berry a épousé en 1710 Marie-Louise d’Orléans. Le 13 mars 1713, elle donne naissance à un petit duc d’Alençon : trois semaines plus tard, l’enfant est mort.

   En cette année 1714, la duchesse est à nouveau enceinte. Mais voilà que le 26 avril, le duc de Berry est victime d’une blessure à la chasse : il heurte avec violence le pommeau de sa selle. De retour à Marly, il est pris de vomissements et d’hémorragies.

Charles, duc de Berry et troisième petit-fils de Louis XIV, par Nicolas de Largillière (Château de Versailles)

   Trois jours plus tard, la fièvre s’installe, et les médecins s’en mêlent : le duc succombe à leurs tortures le 4 mai, au petit matin. Il était âgé de vingt-huit ans. Un décès qui passe presque inaperçu tant la mort semble à présent naturelle dans l’entourage de Louis XIV.

   Son épouse la duchesse de Berry accouche quelques jours plus tard d’une fille qui ne survit pas. Sans descendance, le duc est vite oublié, et la duchesse, peu appréciée, tenue à l’écart de la Cour. Louis XIV voit avec angoisse se profiler une régence d’un homme qu’il ne peut souffrir, Philippe d’Orléans, son neveu, fils de son frère unique décédé en 1701.

   Louis XIV n’a désormais plus qu’un seul héritier en ligne direct : un enfant de quatre ans, seul rescapé de cette incroyable et douloureuse hécatombe, le futur Louis XV. Contre toute attente, l’enfant survivra à l’enfance. Après une régence fort bien menée par Philippe d’Orléans (que Louis XIV ne pourra éviter malgré un testament qui lui était hostile), Louis XV entamera un règne aujourd’hui restitué dans toute son intensité par plusieurs biographes, l’un des plus longs de l’Histoire après celui de son arrière-grand-père Louis XIV !

Sources

♦ Louis XIV, de Jean-Christian Petitfils

♦ Louis XIV. Homme et roi, de Thierry Sarmant

♦ Louis XIV intime , de Hélène Delalex

♦ Les Reines de France au temps des Bourbons, de Simone Bertière : Les femmes du Roi-Soleil

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