Challenge critique 2017 : Matilde dos Santos

Publié le 16 mai 2017 par Aicasc @aica_sc

https://aica-sc.net/2017/04/22/challenge-critique-2017-christian-bertin/

Christian Bertin

Christian Bertin, révélateur de la société martiniquaise

 La poésie existe dans les faits.

 Les maisonnettes de safran et ocre dans les verts du bidonville,

sous le bleu  « cabralien » sont des faits esthétiques .

Oswald de Andrade,

Manifeste Bois-Brésil, 1924

Christian Bertin
Madinina workshop Grand Rivière

Les visites d’atelier sont toujours des moments privilégiés. Cela permet un regard plus intime sur l’œuvre d’un artiste, un aperçu in situ du processus de création…. Les traces de travaux passés, les études en cours, les outils, ….  C’est comme entrer dans la fabrique de la vie.  Et, s’il n’est pas certain que l’on comprenne mieux une œuvre juste pour avoir connu le terreau qui l’a vu naitre, quelque chose s’y retrouve forcément.

Perché sur les hauteurs de Bellefontaine, l’atelier de Christian Bertin a été construit par l’artiste de ses propres mains, depuis le portail jusqu’à la maisonnette, entourée d’un terrain qui  lui permet de travailler à l’intérieur ou à l’air libre, et de manipuler ses grandes pièces. Dès l’arrivée, des œuvres nous accueillent. Une installation en cours de finissage attire le regard. Des tambours de machine à laver, disposés sur des piquets ou sur des arbustes au bois foncé, ont un attrait un peu mystérieux : l’argenté de la machine contraste avec la couleur foncée du bois. Il y a clairement quelque chose de poétique dans cette disposition.  Ce n’est pas sans rappeler une installation qu’il avait faite à Trénelle-Citron  en 2007, la forêt de mats de cocagne, qui jouait aussi de  l’opposition entre la couleur foncée des colonnes, et la peinture dorée avec laquelle l’artiste avait recouvert des objets de la vie quotidienne disposés dessous.

L’intérieur de la petite maison est assez sombre. Quelque chose d’une tanière, contrastant avec le plein soleil du dehors. Dans un recoin, un autel votif, comme ceux du candomblé ou du vodou. Une bougie y est allumée qui protège la maison. Des œuvres sont posées contre les murs. Coutelas, vestes, timbales, le reliquaire de son œuvre connue. Et toujours le mélange d’éléments naturels et manufacturés.

Se promener dans cet atelier c’est aussi revisiter quelques-uns de ses classiques, li diab-la, objet performatif, par exemple. Posé à l’entrée, à l’extérieur, l’objet, redevenu simple bidon, est désacralisé : la peinture est moins rutilante, des éléments se sont décollés…

Christian Bertin L’origine du monde Collection Fondation Clément

Une œuvre de la série des accumulations de timbales, permet à l’artiste de parler de L’origine du monde, aujourd’hui dans la collection de la Fondation Clément. Un ami qui connaissait son goût pour les objets délaissés lui a parlé un jour de la prison de Fort-de-France que l’on démantelait et d’une grande quantité de timbales qui seraient jetées. Attiré par le matériau, autant que par la mémoire qu’il charroyait,  l’artiste va intégrer ces objets dans ses créations. Dans une démarche désormais paradigmatique en art contemporain, Christian Bertin place l’objet de la vie de tous les jours au centre de la création. Mais au-delà du ready-made ou de l’accumulation d’objets façon pop-art, il serait plus dans la veine du nouveau réalisme. Christian transforme et potentialise l’objet. Il s’agit quasiment d’une mythologie personnelle, tant l’objet est chargé du sens  qu’il avait dans la vie quotidienne. Les timbales de la prison de Ducos, en tant qu’ éléments de son origine du monde, par exemple, infléchissent le sens du titre en y ajoutant une violence (celle de la prison, métaphore de l’incarcération originale de la traite) qui n’était pas dans l’œuvre de Courbet.

Nous avons discuté de sa vie dans le désordre. La présence de Césaire. L’histoire légendaire de la rencontre qui lui a permis de fréquenter les Beaux-arts de Macon.

La famille de Bertin comme la plupart sinon toutes celles du quartier Trennelle-Citron, avait été logée par Monsieur le Maire. C’est une histoire qu’il partage avec d’autres artistes du quartier, comme Habdaphaï, par exemple. Jeune adulte Christian est devenu électricien à la mairie de Fort de France. Il profite d’un moment de travail dans le bureau du Maire pour lui demander de l’aider à changer de métier. Césaire s’étonne, fait remarquer qu’il a déjà beaucoup fait pour ses parents, pour Bertin lui-même. Questionné, Christian lui répond qu’il veut devenir artiste. Césaire est ravi. Il soutient l’art qu’il considère essentiel dans l’affirmation d’une identité martiniquaise, et en plus, il a une solution toute prête : le SERMAC.  Mais Christian répond avec une audace qui révélait déjà l’artiste chez lui et qui a dû plaire à Césaire : « le SERMAC est trop petit pour moi. Je veux faire les Beaux-arts ». Ce jour-là il a obtenu un financement qui lui a permis de faire ses études à Macon.

De ses études à l’école d’art de Macon, Christian Bertin a gardé justement  le gout des références artistiques. Etienne Martin, pour ses vestes, mais aussi Picasso, Duchamp, Beuys. Et l’habitude de se revendiquer artiste du monde. Né et vivant ici, avec des références propres à ce lieu, mais profondément connecté au présent du monde. Très durablement marqué par ses années d’études en Hexagone, il assume sa culture hybride.

L’artiste a souvent parlé de la blesse, ce mal de vivre, typiquement martiniquais. De son travail doublement marqué par le volcan et par l’esclavage. Un lieu avec un drame de naissance, que l’artiste interroge sans cesse. Comme Zola, Bertin croit que l’artiste est un révélateur de la société. Mais cette société ne s’arrête pas au passé, ni est isolée du monde, malgré son insularité.

Si  lorsque Christian oppose, marie, conjugue les matériaux, souvent de récupération, il est dans la lignée du coup de main et de la débrouillardise du Martiniquais, il est aussi dans les champs expressifs de l’arte povera, récupérant dans des matériaux pauvres, la charge expressive de leur essence, mais aussi de leur histoire. Lorsqu’il amène des matériaux, des procédés, ou des objets typiques de la débrouillardise des classes moins favorisées martiniquaises , c’est avec une valeur de fait esthétique, dans le sens qu’Oswald de Andrade donnait à cette expression, soit, la poésie concrète du quotidien.

De la même manière, son atelier a été construit sur le modèle des petites maisons de Trénelle, avec des matériaux disparates dans une combinatoire hallucinante de styles architecturaux,  mais comme il lui dit lui-même, Bertin n’est pas Facteur Cheval. Son art, il ne le voit ni brut , ni naïf. Il a bien trop de références artistiques pour cela.  Il m’a semblé qu’il y a ici une relation particulière et très intéressante à la culture populaire. Le pop-art a fait entrer une esthétique populaire dans l’art contemporain. Avant cela dans l’occident et de tous temps, les artistes se sont intéressés aux traditions, coutumes ancestrales, légendes anciennes et techniques artisanales. Mais il y a peut-être ici quelque chose qui est de l’ordre de l’anthropophagie Oswaldienne : la dévoration de toutes les influences, de toutes les cultures, de toutes les diversités en présence, pour construire un langage propre à l’artiste, propre à la Caraïbe ?

Matilde dos Santos

Aica Caraïbe duSud

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