Excalibur. Le Dragon mystique

Par Balndorn

Un film à la fois ancien et moderne. Un film à la fois mythique et mystique. Un film de chevaliers sans épopée. J'ai revu Excalibur, de Boorman, et je suis loin d'être déçu.
On sent les années 80 en voyant ce film fait de toiles peintes, d'effets spéciaux inspirés de Star Trek, de surimpressions et de disparitions à l'écran, et pourtant, rien de tout cela n'est gênant. Au contraire. Ces effets cinématographiques, qui pourraient à première vue paraître pauvres face à la puissance réaliste du numérique dans un Jurassic World ou un Avengers, font toute la richesse du film. On est là devant un cas de bricolage mystique. Ainsi des scènes simultanées du quasi-viol d'Igraine par Uther Pendragon et de la mort du duc de Cornouailles, tout simplement jointes par un montage parallèle, mais si brillamment exécuté, si nerveux, si noir, que l'on approche de quelque chose de magique sans passer par la magie du spectaculaire. Ce que je trouve étonnant dans ce film, c'est de voir à quel point cette ascèse dans la mise en scène peut paradoxalement donner lieu à des émotions bien plus grandes que dans de nombreux films médiévalistes.


Ceci est à relier à la trame même du film : c'est certes un film médiévaliste, c'est certes un film sur le Graal, et pourtant il n'est ni épique, ni romanesque. Braveheart est une histoire épique, car la question qui la sous-tend est celle de la souveraineté populaire, et le récit grandiloquent des guerriers écossais de William Wallace sert d'allégorie de la lutte des peuples pour le droit à l'auto-détermination : Wallace n'existe que parce qu'il est le porte-parole du peuple. Robin des bois, qu'il soit celui de Costner ou celui de Scott, reste avant tout une aventure romanesque, parce qu'elle n'engage qu'une action singulière, celle de la délivrance de la dame de Nottingham, et au passage de la ville : Robin a une histoire qui lui est propre et qui n'est fait que recouper celle du peuple. Dans Excalibur, il y a des héros doués chacun d'une histoire personnelle (Arthur et Excalibur, Lancelot et Guenièvre, Perceval et le Graal...), il y a un peuple allégorique (le peuple de Bretagne souffrant ou jouissant en fonction d'Excalibur), mais la connexion qui se fait entre les deux est bien plus complexe ; le Dragon, cette sorte de lien substantiel qui unit chaque chose en ce monde selon Merlin, soude chevaliers et paysans dans un destin commun, qui n'est ni la liberté promise par l'épopée, ni l'aventure promise par le roman, mais la bien plus délicate quête d'une innocence de l'homme. C'est en cela que ce film est mystique : par-delà les oppositions politiques, religieuses et sociales, il cherche à résoudre un grand trouble de l'âme humaine.
Et c'est pour cela que ce film est si onirique et si étrange à la fois. Uther chevauchant le Souffle du Dragon pour aller violer Igraine et concevoir Arthur, l'enfant Mordred, coiffé d'un casque en forme de masque, riant d'un Perceval désemparé au milieu des bois lugubres, le Charme Suprême terrassant Morgane et tant d'autres scènes, toutes ces aventures sont singulières et pourraient ne pas nous intéresser, et pourtant elles constituent parmi les meilleures scènes du film. Ce qui est en jeu à chaque fois, c'est une suspension du temps et de l'action : loin de spectaculaires batailles ou tours de magie, le film s'attache à pénétrer un peu plus intensément les mystères de l'âme humaine avec une telle sobriété de moyens que ces personnages mythiques nous deviennent à la fois proches et lointains. Proches, car il y a identification ; lointains, car leurs actes nous semblent toujours incongrus, tout comme dans les romans de Dostoïevski. À chaque victoire et à chaque échec, c'est nous qui sommes ébranlés, car nous aussi, nous faisons désormais partie du Dragon que le film tisse entre l'écran et la salle.
Rien de mieux que de voir la scène où Perceval découvre le Graal : dans un décor très science-fiction, voilà un vase qui, en surimpression, s'avance vers notre œil, et qui se met à parler d'une voix de stentor. À ces questions plus que vagues, nous voilà nous-mêmes interrogés, et l'on sent que de cette scène, alors que l'on est toujours dans une fiction, peut naître un grand espoir pour l'homme. Car boire en ce calice saint, c'est retrouver, comme le font Arthur, ses hommes et le royaume, innocence et vaillance. 


Excalibur, de John Boorman, 1981

Maxime