Je t’appelle de Cochin

Publié le 21 mai 2017 par Harmonic777888 @phbarraque

Je t’appelle de Cochin. Ca va toi ? La nuit a été courte. Une infirmière est venue dans la nuit et je lui ai dit qu’à cause de mon handicap, de ma spasticité, je ne pouvais pas rester dans la même position dans le lit tout le temps.

Elle a tourné les talons et est repartie en maugréant : je n’ai pas que vous à m’occuper, je reviens. Quarante minutes plus tard, elle n’était toujours pas là. Mes raidissements musculaires devenant insupportables, je l’appelle. Je la vois arriver furieuse, n’écoutant rien de ce que je lui dis et bien évidemment, n’arrivant à rien face aux tribulations d’un corps handicapé. Elle m’a fait mal, s’est acharnée et après bien des difficultés, a fini par me mettre les chaussures orthopédiques, le peignoir et à m’installer dans le fauteuil. Petites maltraitances quotidiennes dans les hôpitaux.

Ni une, ni deux, j’ai foncé dans le couloir avec mon fauteuil électrique jusqu’au bureau de l’interne de garde pour lui dire que je me sentais en danger avec cette personne et que si rien n’était fait, je quittais Cochin. Tu imagines la scène, ils n’ont pas l’habitude qu’une patiente handicapée surgisse dans la nuit avec ce type de demande !

Enfin voilà. Tu as dormi toi ? J’ai tenté de ranger quelques affaires dans l’armoire mais pas une étagère n’est à mon niveau, pas même un porte manteau à portée de main. Il y en a deux à deux mètres du sol. Pour un basketteur sans doute. Pourtant le bâtiment a été rénové et il n’y a que des chambres individuelles. Le luxe pour un grand hôpital parisien. Les toilettes ont été installées en kit modulaire façon Algeco. On y entre comme dans un container de chantier. Il y a bien une barre d’appui amovible mais rien de plus.

Le top, ce sont les volets des fenêtres de la chambre qui sont déjà en panne, ils n’ont rien trouvé de mieux que de coller du papier bleu sur les vitres pour protéger le patient du soleil. Dès fois qu’il prendrait des couleurs. Je t’envoie la photo par sms. Si je pouvais, je dessinerais bien des palmiers, une île, ou je déchirerais un coin pour faire des origamis.

Bien entendu, les fenêtres sont fermées à clé et ils pestent pour chercher le passe. Elles donnent sur les urgences de la maternité Port-Royal et son ballet incessant de SAMU qui déversent de futures mères-douleurs, tenant entre leurs mains comme un trésor leur ventre pesant, flanquées de leurs compagnons hagards qui poussent parfois dans un landau le petit dernier. Les nounous dorment à quatre heures du matin.

Au fait, quand tu viendras, passe chez Darty pour m’acheter un petit ventilo. Il fait plus de trente degrés dans cette chambre. Tu as regardé la brochure d’accueil de Cochin ? Pas un mot sur les handicapés, pas une ligne. Comment faire quand on est seul, malentendant, malvoyant ou tétraplégique ? Le malade, il doit être conforme à la norme, ou alors dans la seule position acceptable : alité. Le handicap n’a jamais été la tasse de thé des médecins et du personnel soignant. C’est très peu enseigné dans les facs. Tu comprends, le handicap est un échec, tout comme la fin de vie médicalement assistée. La médecine n’aime pas les corps rebelles, les pathologies frondeuses qui s’affranchissent des protocoles conventionnels.

Mise à part, je te rassure, il y a aussi des soignants très sympas. Manuel est aide-soignant, jovial, membre d’une chorale, un peu parti, un peu à l’ouest comme on dit. Il te récite les menus concoctés par la société de restauration Sodexo avec la prestance d’un maître d’hôtel. Un peu plus et il nous ferait saliver rien qu’en prononçant les noms de ces mets infâmes où voisinent les flageolets, le rôti froid aux fumets de rat mort et la pizza qui n’a jamais vu un four à bois. Moi, j’en prends toujours deux fois, dit-il. Il fait plaisir à voir et en plus très patient avec les malades.

Tu vois, je ne m’ennuie pas mais la douleur me tenaille. Il faut que je happe au passage l’interne de service pour qu’il me prescrive avant dix-huit heures un antalgique puissant, car sinon j’aurai droit au couplet de l’infirmière de nuit : je ne peux rien vous donner d’autre que du Doliprane, il faut attendre la prescription des médecins demain. La douleur n’attend pas. Essaye de dormir. Je t’embrasse. Bons baisers de Cochin.

Philippe Barraqué, musicothérapeute, auteur, blogueur


Philippe Barraqué, co-auteur avec Cesarina Moresi du livre « Handicap, un challenge au quotidien » aux éditions Jouvence – www.handicapchallenge.fr


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