Face à « la peur, la précarité, la colère », d’un peuple à l’identité malmenée, face à des conditions climatiques empirées, la seule solution avait été une révolution féministe préparée minutieusement. Depuis 2012, les déesses fondatrices de la mythologie grecque infiltraient la France. Elles avaient scellé leur destin lors du serment de la Théière signé sur un morceau de parchemin à Olympie. L’invisibilité des femmes dans l’histoire avait pu être déjouée in extremis, juste avant que l’Apocalypse ne survienne.
Avec des effets de temps et d’ellipses, Chloé Delaume réinvente le polythéisme à chaque page et y entremêle des références à l’histoire contemporaine et antique. C’est aussi plaisant à lire que Les Métamorphoses d’Ovide. Elle rend les déesses Déméter, Aphrodite, Artémis, Hestia, Athéna, Héra, vivantes. Au fil des pages, des échos à un événement qui surgit vers 3080 av. J.-C. à Athènes résonnent : avait alors éclaté une guerre civile si affreuse, qu’il fut interdit d’y faire allusion.
L’origine du monothéisme est aussi évoquée avec un clin d’œil au mutisme originel de la femme : « Ève est celle qui se tait, fille aînée des soumises et de l’aliénation ». Des dossiers épistolaires entre Artémis et Jésus Christ viennent étayer d’une manière truculente toute cette enquête. Les registres s’entrecroisent avec habileté, passent d’un discours cinglant à l’intention du Président de la République à des poèmes d’une ironie cruelle. Des sorts maléfiques fusent de chapitre en chapitre pour rétablir la vérité. C’est drôle, intelligent, mais surtout impertinent. Les sorcières de la République conjuguent l’imagination et la narration à la perfection.
Quentin Margne
Chloé Delaume, Les sorcières de la République Seuil, 368 pages, 20 euros.