Quignard, le jardin et les ténèbres

Publié le 14 juin 2017 par Les Lettres Françaises

C’est l’histoire du révérend Simeon Pease Cheney, un homme qui a transcrit des mois durant, des saisons durant, des années durant, tous les chants des oiseaux, ditelis du rouge-gorge et autres ; c’est aussi l’histoire de sa fille Rosemund, célibataire, qui a désiré à tout prix faire paraître à compte d’auteur l’unique livre posthume de son père, Wood Notes Wild (Notes de la forêt sauvage), un livre dont personne ne voulait, dans lequel le pasteur avait donc noté tous les chants de ces derniers chrétiens que sont les oiseaux, qu’il avait entendus venir pépier dans le jardin de sa cure où il s’était réfugié après avoir quitté Dieu, au cours des années qui vont de 1860 à 1880, à une époque où le pasteur Brontë finissait ses jours, alors que ses trois filles et son fils étaient morts…

C’est encore l’histoire du solitaire Pascal Quignard lui-même, qui, comme Dvorak, a pris au sérieux l’œuvre de Cheney, et qui, après avoir écrit – il y a longtemps déjà – la vie du plus important gambiste du XVIIe siècle, qui s’appelait Monsieur de Sainte-Colombe – qui fut le maître de Marin Marais -, dans son roman Tous les matins du monde, décide d’écrire celle de Cheney, dont il nous livre le dernier sermon pastoral dans lequel Pascal Quignard a rêvé d’un lancer d’oiseaux dans le silence, raison pour laquelle cette histoire prit en lui la forme non pas d’un roman ni d’un essai, « mais d’une suite de scènes amples, tristes, lentes à se mouvoir, polies, tranquilles, cérémonieuses, très proches des spectacles de nô du monde japonais d’autrefois », annonce-t-il lui-même. Surtout, Pascal Quignard en fit le spectacle de La Rive dans le noir, qu’il a créé avec Marie Vialle, avec Tristan Plot, avec une chouette effraie de six mois, et aussi un corbeau de douze ans, qui s’appelait Ba Yo, au festival d’Avignon en juillet 2016, et qui a tourné ensuite un peu partout en province.

Ces derniers temps, Pascal Quignard a publié encore, aux éditions Galilée, un gros volume intitulé Performances de ténèbres dans lequel il dit par exemple à quel point il déteste les pièces qui imitent la vie, le mouvement de la foule, l’amassement, où tout le monde vocifère, « où l’on voit la multitude qui se solidarise », et où il dit que le théâtre n’a pas à être interprété, il a à se souvenir, il a à chercher, pour déboucher, comme le notait Plutarque dans ses « mystèria », « dans la prairie, le chant, la danse, les fleurs »… Pascal Quignard est comme celui qui tisse des contes et qui ressemble à celui qui trouve des trèfles à quatre feuilles… Dans Performances de ténèbres, il dit bien que La Rive dans le noir, à l’origine, ne voulait pas être du théâtre : « On cherchait à être des perche-oiseaux comme au bas de la première figuration humaine, à Lascaux, dans le puits » ; et il dit nous livrer là une liturgie archaïque d’enfants orphelins de la mère originaire, des enfants « abandonnés de la grotte elle-même ».

Didier Pinaud


Pascal Quignard, Dans ce jardin qu’on aimait 
Grasset, 176 pages, 17,5 €

Pascal Quignard, Performances de ténèbres 
Galilée, 256 pages, 26 €

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