528ème semaine politique: démissionner face à Macron ?

Publié le 17 juin 2017 par Juan

 

 

Où l'on parle de la victoire de l'abstention, des premières trahisons d'Emmanuel Macron, et du découragement démocratique.

 

Une victoire ? Une démission
Il y un camp de l'électorat qui, au soir du premier tour des élections législatives, est enfin majoritaire, c'est l'abstention. Celle qui a terminé seconde au soir du second tour présidentielle avec 11 millions d'électeurs, a dépassé ce score quelques semaines plus tard: 24 millions d'abstentionnistes !
Avec 51% des inscrits, l'abstention frôle un record. Pour le second tour, on attend pire encore. L'illusion démocratique de la Vème République s'achève ce dimanche 10 juin 2017. Macron, incarné par 525 clones locaux pour l'essentiel inconnus, perd près près de deux millions de voix par rapport au score de leur champion à la présidentielle. C'est pire encore pour la France insoumise ou le Front national.
Avec 15,4% des inscrits, La République En Marche (LREM) est promise à 80% des sièges de députés par la vertu du scrutin majoritaire à deux tour, une anomalie européenne et même occidentale. Certains crient à la victoire. D'autres appellent cela encore de la démocratie - le gouvernement par le peuple. D'autres encore braillent que l'abstention est une forme de soutien à Emmanuel Macron. Qui ne dit mot consent, nous explique-t-on. Sans rire ? Ils osent tout.
"On les a passé au karcher"  
Un proche d'Emmanuel Macron, dimanche soir à l'Elysée.
Les causes sont multiples: on peut blâmer une surdose d'élections depuis 18 mois, des débats de fon inexistants qui rendent la campagne triste et sans enjeux, des programmes rarement discutés,  et une campagne contre la seconde force nouvelle du moment - la France insoumise -  rude, souvent indigne, toujours propagée par les médias dominants. Enfin et surtout, la confusion entre candidats PS, LR et LREM a été permanente. Au final, c'est un fiasco général pour la démocratie. Si ce scrutin est institutionnellement légitime, politiquement il ne l'est pas. 
Les 80% de députés macronistes propulsés à l'Assemblée ne représentent que 15% des adultes de ce pays.
Dimanche, LR et PS sont quasiment balayés, la plupart des ténors socialistes dégagent dès le premier tour au profit d'inconnus. Dès lundi, la France insoumise appelle à voter pour les candidats de gauche, quels qu'ils soient, opposés à la politique promise d'Emmanuel Macron. Il y a des situations cocasses. Dans l'Essonne, Hamon soutient la candidate insoumise contre Valls qui l'avait trahi pendant la campagne présidentielle. A Paris, Myriam El-Khomri est soutenue par Macron, tandis que le premier ministre soutient son adversaire de droite. A Marseille, Mennuci mauvais perdant refuse de soutenir Mélenchon. Et on murmure aussi le nom de François de Rugy, ce député écologiste, puis hollandiste, puis candidat à la primaire socialiste (3,8% des suffrages!), puis macroniste comme futur président de l'Assemblée.
Ne riez pas.

Au Royaume Uni, l'hebdomadaire libéral THE ECONOMIST titre sur Macron, l'homme qui marche sur l'eau, le "sauveur de l'Europe". En France, l'OBS titre sur "Macron le patron, comment il va réformer le travail". Oui, le travail, rien que ça.
Pas le code du travail, non, tout simplement le travail.
Macron est Jupiter. Ne l'oubliez jamais.
Le nouveau culte de la personnalité qui s'installe connaît heureusement déjà quelques anicroches.
Des inconnus à l'Assemblée ?
Qui sont les nouveaux vainqueurs ? On ne sait pas vraiment.
Les candidats "En Marche" ont souvent la trouille des médias, ils refusent le plus souvent tout débat public avec leurs adversaires. Ils s'abstiennent de détailler un programme qu'ils ne connaissent que dans les grandes lignes. Ils s'offusquent de la critique. Ils ont des réflexes politiques inquiétants, ou stupides. L'une des nouvelles stars de la jeune garde macroniste, Mounir Mahjoubi, qui a terrassé le premier secrétaire du PS dès le premier tour à Paris, prétend ainsi, sans craindre le ridicule, qu'"il y aura une véritable opposition à l'Assemblée Nationale" ... au sein de la majorité macroniste.
Qui sont les nouveaux vainqueurs ? Pour une bonne moitié, des novices. "On pourrait commencer par leur distribuer des plans de Paris" conseille Gérars Collomb (cité par Le Canard Enchainé du 15 juin).
Le processus de sélection des candidats d'En Marche a été lancé il y a des mois. Il a été mis en scène comme une pièce essentielle du lancement du produit Macron. On a surjoué la rigueur et le caractère populaire de ce mega-casting. Au final, les candidats sont certes plus féminins, mais surtout ultra-majoritairement blanc-bourgeois. Un éditorialiste a trouvé un chômeur sur les quelque 525 candidats investis. Mais le plus frappant est qu'ils ont été dévoilés sur le tard, quelques jours après l'élection présidentielle. Les électeurs ont voté pour des clones de Macron, le plus souvent sans connaître le porte-voix local du jeune monarque. Et la presse n'a pu faire son habituel travail d'enquête sur ces candidats "de la société civile". On aurait pu débusquer les corrompus, les comptes cachés et faux diplômes, comprendre le pedigree politique de ces vierges de la politique, bref, se faire une idée plus précise sur ces têtes nouvelles qui demain voteront les lois.
Certains médias tentent de se rattraper. Mediapart révèle ainsi la fraude fiscale du candidat LREM Bruno Bonnell, opposé à l'ex-ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem à Villeurbanne. En Haute-Garonne, une autre fait l'objet d'une enquête pour exercice illégal de la voyance (sic!). Et il y a encore l'affaire Richard Ferrand, député et ministre que les rares votants de sa circonscription ont porté en tête des suffrages au premier tour.
La face cachée d'Emmanuel Macron ne l'est plus.
Campagne publicitaire
Les ministres font campagne, ils sont là pour cela. Ils sont surtout rassurés, la perspective d'une majorité écrasante prolonge leur espérance ministérielle. Le sénateur-maire de Lyon, désormais ministre de l'intérieur, file ainsi dans la région lyonnaise soutenir ses poulains. Gérard Collomb trouve même le temps d'aller déjeuner avec l'épouse du jeune monarque à Lyon.
N'a-t-il pas plus urgent à faire ?
Plus au Nord, à Calais, le défenseur des droits Jacques Toubon l'interpelle. Il constate, effrayé, la situation des migrants. Il dénonce des "conditions inhumaines" - destruction systématique des abris de fortune, traque des réfugiés mêmes mineurs. D'autres personnalités signent à leur tour une tribune à l'adresse de Macron. Puis ce sont quelques 300 organisations non gouvernementales, en pas des moindre (Amnesty international, Emmaüs, la Ligue des droits de l’Homme, Médecins du monde, le Secours catholique, etc) et syndicats qui fustigent le silence du Président-Sourire: "Face à ce qui constitue un véritable "état d’urgence", nous appelons les responsables politiques et administratifs à poser les vraies questions : notre conception de la justice admet-elle que des militants de solidarité soient harcelés, et jugés comme délinquants, ou que des distributions alimentaires soient interdites par arrêté municipal ?"
Mercredi, le Président-Sourire passe trois heures à Vivatech, le salon du HighTech à Paris. Il lâche 10 milliards d'euros pour "dynamiser les start-ups". Il veut que la France soit comme une start-up.
Son Garde des Sceaux se fatigue, nous fatigue dans une mauvaise affaire. France info révèle qu'une dizaine d'assistants parlementaires du MODEM seraient des employés fictifs et voici que le ministre appelle... France info. Quand son premier ministre explique publiquement qu'il faut cesser ce genre de pratiques, Bayrou répond qu'il n'en fera rien. cette dispute au sein d'une trop jeune alliance est stupéfiante. Cette intervention contre un média est terrifiante.
La Macronista n'a pas l'élégance républicaine de la Hollandie. François Hollande parlait beaucoup aux médias, il était sans filtre, presque trop. Il ne cachait rien, trop peu. Il s'est fait broyer par cette transparence.
Emmanuel Macron a tout compris. Il ne dit rien d'autre que ce que l'Agence publicitaire lui concocte.  Il a la parole rare. Il choisit les journalistes. Ses candidats suivent l'exemple. Ses ministres attaquent la presse.


Trahisons... ou arnaques ?
La Macronista trahit déjà. 
Hollande avait attendu, peut-être involontairement. Les trahisons sont venues plus tard. Le CICE n'est apparu qu'en septembre, le Pacte de Responsabilité 18 mois plus tard, Manuel Valls à Matignon en avril 2014. Macron trahit immédiatement, sans souci et avec le sourire. De son programme "et de gauche et de droite", il conserve sa partie droite, il évacue facile l'autre.
Qui est surpris ?
Emmanuel Macron repousse d'abord l'introduction d'une dose de proportionnelle aux suffrages législatifs. Pourquoi s'embêter ? La promesse d'un mode d'élection enfin démocratique sert à abuser l'électeur. On se souvient de Hollande. Macron a attrapé l'électeur soucieux de représentation de la même façon.

Emmanuel Macron réduit aussi les ambitions de sa "moralisation" de la vie politique, et sur un aspect loin d'être anodin, les activités de conseil des parlementaires. Rien que ça ! Son ministre Ferrand, directeur d'une mutuelle, n'était pas gêné de travailler comme député sur le même sujet. "L’interdiction pour les parlementaires d’exercer des activités de conseil parallèlement à leur mandat, pour mettre fin aux conflits d’intérêts." promettait le candidat Macron.  Il a du réaliser que cette promesse était intenable vu son contingent de futurs députés issus des franges bourgeoises et libérales de la société civile. Exit aussi l'obligation d'avoir un casier judiciaire B2 vierge pour les candidats à un mandat, ou la suppression du régime spécial des retraites des parlementaires, ou l'interdiction de tout financement privé des campagnes présidentielles pourtant si cher à Bayrou avant l'élection...
Mercredi, un Garde des Sceaux aux abois présente donc ce projet, aux multiples facettes législatives jusqu'à une modification de la Constitution qui est quasiment acquise vu l'écrasante majorité que promettent les sondages au jeune monarque. Il y a de bonnes choses, des réformes attendues, comme la suppression de la Cour de Justice, l'interdiction des emplois familiaux, mais ces premiers reculs, plus que symboliques, laissent un goût amer dans la bouche.

Enfin, la fameuse loi travail. Ce projet dont seul le vernis publicitaire nous est donné à commenter, se dévoile peu à peu à force de fuites (qui ont fait l'objet d'une plainte en justice par l'ex-DRH devenue ministre du Travail, signe d'une certaine fébrilité) et d'interpellations publiques.Macron veut déplacer le champ de la négociation au niveau des entreprises. Il"ne le déplace pas n’importe où", explique un économiste atterré,  il "le met précisément là oùl’employeur se trouve en situation de force, c’est-à-dire dans l’entreprise."
Jeudi, Edouard Philippe ajoute un autre "détail" de la future loi Travail, que les conditions de licenciement pourraient se négocier "par entreprise". Le lendemain, sa ministre du travail le désavoue (sic!): "les causes et les motifs de licenciement ne se définiront pas au niveau de l’entreprise".
Lapsus ou aveu ? La République des patrons est en marche.
Ami(e) citoyen(ne), marche ou crève.