Adélaïde Fassinou et les bénis des dieux

Par Gangoueus @lareus

Le blog littéraire collaboratif Chez Gangoueus compte un nouveau contributeur, Abdoulaye Imorou, maître de conférences à l'Université d'Accra au Ghana. C'est surtout un ami avec lequel nous avons collaboré il y a quelques années sur le cycle de rencontres littéraires Lettres africaines à Dijon. Sa rubrique s'intitulera Les découvertes d'Abdoulaye Imorou.
Adélaïde Fassinou a publié une quinzaine de livres dont le premier, Modukpè. Le rêve briséest paru chez L’Harmattan en 2000. Il s’agit donc d’une auteure prolifique d’autant plus qu’elle a été parallèlement enseignante dans le secondaire et à l’université, qu’elle siège à la Commission béninoise de l’Unesco dont elle est la secrétaire générale depuis janvier 2017. C’est également une auteure qui s’intéresse à plusieurs genres dont le roman, la nouvelle, la poésie et la littérature de jeunesse. Outre L’Harmattan, elle publie essentiellement dans des maisons africaines dont Ruisseaux d’Afrique (Bénin), Odem (Gabon), Éditions Ganndal (Guinée).
Les bénis des dieux et les autres édité par Tomio Publishing House (Nigéria)[1]est son septième ouvrage. C’est pourtant celui que j’ai choisi de lire en premier sans doute attiré par le titre et la première de couverture. L’illustration a défaut d’être belle est suggestive. Elle montre un homme noir qui porte un masque blanc et qui verse des larmes. Il regarde, au-dessus de lui, une jeune femme blanche, manifestement heureuse, cheveux au vent sur un cheval blanc au trot. J’ai donc voulu savoir si le livre cherchait à démontrer que les Blancs sont les bénis des dieux et quel est le statut qu’il attribue alors aux Noirs.
Il est vite apparu que l’ouvrage est plus complexe. Il s’agit d’un recueil comportant 14 nouvelles. Outre la nouvelle éponyme placée en début de volume, peu de textes portent directement sur le face à face Afrique / Occident. À titre d’exemples, la deuxième nouvelle, « Les dents brisées » raconte les mésaventures d’une jeune fille victime d’un vol à la tire ; la sixième, « Les Fanou, dehors » rappelle combien une éducation trop autoritaire peut traumatiser les enfants à vie ; l’avant dernière « Ô mort ! Qu’as-tu fait des miens ? » exprime la douleur des familles face à des tragédies qu’une meilleure organisation du système de santé suffirait à éviter. D’une manière générale, les nouvelles se saisissent surtout du quotidien des Béninois. On note néanmoins quelques thèmes fédérateurs. Un certain nombre de nouvelles dont « Le rêve réalisé », « Maman Honon », « Ah, nos hommes ! », portent sur la condition des femmes au Bénin. En outre, le recueil appelle à une amélioration des conditions sociales notamment en mettant en scène la manière dont le manque de ressources peut pousser à certaines extrémités. « Le prix d’un faux enterrement », est l’histoire d’un bonimenteur qui n’hésite pas à raconter que sa petite fille est morte et qu’il ne dispose pas de la somme nécessaire pour rapatrier son corps au village en espérant que la compassion prendra une forme sonnante et trébuchante. Dans « L’enfant du seau » un père en est réduit à cacher son bébé dans un seau en vue de quitter l’hôpital sans payer la note.
Toutefois si le face à face Afrique / Occident n’est finalement pas le thème majeur du recueil, il reste présent en filigrane. La dernière nouvelle « Mademoiselle, je vous aime » y renvoie explicitement puisque la réponse de la demoiselle sera, en grande partie, conditionnée par le fait que le prétendant est blanc. Outre le fait que les 12 autres nouvelles sont ainsi encadrées par deux textes portant sur les relations entre Noirs et Blancs, ça et là, des références et des incises viennent rappeler combien ces relations marquent l’imaginaire des Béninois. Maman Hanon déclare ainsi : 
« Il doit sûrement y avoir une piqûre contre ça, non ? Si c’est une maladie contagieuse, les Blancs doivent avoir inventé son médicament ! » (p. 82). 
Néanmoins, le recueil n’est pas entièrement pessimiste. Certaines nouvelles, dont « Le rêve réalisé » et « Le veilleur de nuit devenu banquier » se veulent même optimistes.
Ces tranches de vies béninoises sur fond de questionnement des rapports Nord / Sud sont servies par une écriture classique mais non maniérée. Le texte est accessible à tous. Le ton est parfois pédagogique et laisse une impression de nouvelles à thèse. Cependant, dans l’ensemble, cette œuvre donne envie de découvrir les autres titres d’Adélaïde Fassinou dont la liste suit.
L’auteure annonce une nouvelle édition augmentée. On espère que celle-ci bénéficiera d’un travail éditorial plus poussé pour le plaisir du lecteur.
 Un article deAbdoulaye Imorou
pour le blog Chez Gangoueus
Adelaïde Fassinou, Les bénis des dieux
Tomio Publishing House, première parution en 2007
1. Modukpè. Le rêve brisé, Paris, L’Harmattan, 2000, (roman).2. Yèmi ou le miracle de l’amour, Cotonou : Éditions du Flamboyant, 2000, (roman pour la jeunesse).3. Toute une vie ne suffirait pas pour en parler, Paris, L’Harmattan, 2002, (nouvelles).4. L’oiseau messager, Cotonou/Tunis, Ruisseaux d’Afrique, Gandal, 2002, coll. « La Libellule » (Littérature d’enfance)5. Enfant d’autrui, fille de personne, Cotonou,Éditions du Flamboyant, 2003, (roman)6. Jeté en pâture, Paris, L’Harmattan, 2005, (roman)7. Les Bénis des dieux et les autres, Ibadan, Tomio Publishing House, 2007, (nouvelles).8. Poèmes d’amour et de ronces, Paris, Édilivre, France, 2009, (poésie).9. Papa je ne suis pas ta femme, Cotonou, Star Éditions, Cotonou, (roman pour la jeunesse).10. Mes exils, mes amours, Paris, Édilivre, France, 2010, (poésie).11. La Sainte ni touche, Libreville, ODEM, 2011, (roman épistolaire).12. Le Journal d’Esclamonde, Cotonou, Éditions Plurielles, Cotonou, 2015, (roman).13. Pour cinq indignes mille francs, Ouagadougou, Éditions Ceprodif, 2015, (nouvelles).14. Ma vie entre parenthèses, Paris, Éditions Cécile Longlois, 2016, (roman)15. Le temple de la Nuit profané. Récits de vie, Cotonou, Star Éditions, 2016, (œuvre collective de l’association « Plumes Amazones du Bénin » sur les violences faites aux femmes).


[1]Adélaïde Fassinou s’explique sur le choix d’une maison anglophone dans l’émission Reine d’Afrique du 31 juillet 2008 présentée par Kidi Bebey et disponible au lien suivant :http://www1.rfi.fr/radiofr/editions/082/edition_96_20080731.asp, lien consulté le 8 juin 2017.
[2] Source photo Africatime