La saison des apparences – Christophe Granger

Par Moglug @Moglug

Nouvelle rencontre avec les éditions Anamosa, nouvelle expérience de lecture, nouveau plaisir !

La saison des apparences : naissances des corps d’été attire l’œil en premier lieu – à l’instar des Émeutes raciales de Chicago, juillet 1919 – par la qualité de l’objet-livre : couverture colorée, cartonnée, avec double rabats intérieurs fermant le livre comme un coffret, choix de photos discrètement aguicheur pour nous parler de l’évolution des tenues estivales au cours du XXème siècle. Pour qualifier ce livre, j’ai envie de parler de « narration d’histoire culturelle » tant l’ouvrage mêle brillamment essai historique et plaisir de lecture. Christophe Granger nous raconte une histoire, nous raconte l’Histoire. Les tenues légères de nos mois de juillet et août n’ont pas toujours fait l’unanimité. Au XIXème siècle, la pâleur était de rigueur et il n’aurait jamais traversé l’esprit d’une dame respectable de s’allonger volontairement en sous-vêtements dans un espace public avec pour simple idée de se brunir la peau. Tout au long de son livre, Christophe Granger interroge les différentes étapes qui ont contribué au constat actuel. Il s’appuie pour ce faire sur des coupures de journaux, arrêtés municipaux, publicités et toute documentation susceptible de le renseigner sur l’évolution du rapport au corps au cours du siècle dernier. Il rappelle la nécessité sanitaire de l’après-guerre, le soleil comme source bienfaisante pour lutter contre la tuberculose et autres maux, puis l’intérêt des bains de mer qui deviennent progressivement « tendance », les villes balnéaires le lieu où il faut être dès que les beaux jours réapparaissent. Il s’amuse des arrêtés municipaux qui s’acharnent à définir la bienséance et la bonne manière de se défaire – ou pas – de son vêtement en public, et les bagarres de plages à ce propos s’avèrent parfois très violentes. Le lecteur suit l’historien comme il suivrait un bon inspecteur dans un polar sexy et rocambolesque. Il découvre ainsi l’instauration progressive de la nécessité du paraître au meilleur de sa forme. Dès le mois de mai la presse féminine prodigue conseils sportifs et diététiques. Les corps doivent s’adapter à la norme en vigueur, les kilos superflus disparaître, les visages blafards reprendre vie. Les photos d’époque, reproductions de publicités et autres illustrations viennent compléter l’ouvrage, lui donner vie. Sur une plage, en bikini, on ne distingue plus une ouvrière d’une aristocrate. Avec les tenues estivales, c’est le système de classe, ce sont les conventions sociales elles-mêmes que l’on déshabillent.

La saison des apparences a été publié une première fois en 2009, sa réédition par Anamosa se justifie non seulement par la qualité du travail éditorial réalisé mais également par la nouvelle évolution vestimentaire qu’ont connu nos plages depuis 2015 et l’apparition d’un nouveau genre de tenue – provocante à l’inverse – le burkini au sens large. Christophe Granger dans son post-scriptum aborde cette délicate question qu’il voudrait sortir de son carcan religieux. Il extrait des journaux quelques faits divers scandaleux et humiliants subis par des femmes musulmanes et les met en relation avec d’autres situations non moins humiliantes – à toutes les époques – de femmes huées parce qu’elles préféraient le topless sur les plages en été et en famille. Christophe Granger compile rapidement quelques points de vue universitaires – sociologues et spécialistes du faits religieux – sur la question du burkini, et soutient pour sa part que le choix de rester habillée sur la plage – en portant voile et tunique, la définition du burkini restant bien floue pour beaucoup – relève bien plutôt du choix de ne pas transgresser les règles établies le reste de l’année que d’une vélléité religieuse particulière. La provocation ressentie et les actes de violence qui en découlent, plus que liés au sentiment religieux, relèverait d’avantage d’une forme de conformisme social à préserver pour ne pas choquer les nouvelles normes de la décence estivale. La question a le mérite d’être soulevée et de permettre un pas de côté sur des problématiques extrêmement complexes impliquant des causes très variées.

En interrogeant l’Histoire, Christophe Granger amène le lecteur à s’interroger sur ses propres évidences et, à sa suite, à ne plus les considérer comme telles. En ce sens aussi, La saison des apparences est un beau livre, utile et enrichissant autant sur le plan intellectuel qu’humain – ce qui à mon avis devrait correspondre à la définition des sciences humaines.


La saison des apparences : naissances des corps d’été – Christophe Granger
Anamosa, 2017, 355 p.

Première publication : Les corps d’été : naissance d’une variation saisonnière, Autrement, 2009


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