John Berger – Ce qui stupéfie

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Ce qui stupéfie ne peut être
le vestige de ce qui
a été.
Demain encore aveugle
avance lentement.
La vue et la lumière
font la course l’une vers l’autre,
et de leur étreinte
naît le jour,
aussi grand qu’un faon,
les yeux déjà ouverts.

La rivière en murmurant
enlace la brume
pour un moment encore.
Les sommets marquent le ciel
de leur signature.
Arrête et écoute
les machines à traire
conçues pour téter comme les veaux.
A la première chaleur
les collines boisées calculent
la raideur de leurs pentes.

Le chauffeur de poids lourds prend la route
vers le col qui mène
contre toute attente
avec sa propre familiarité
vers une autre patrie.
Bientôt l’herbe sera
plus chaude
que les cornes des vaches.
Ce qui stupéfie
vient à nous
comme éclaireur de la mort et de la naissance.

*

What astounds

What astounds cannot be
the remnant of what
has been.
Tomorrow still blind
advances slowly.
Sight and light
race towards each other,
and from their embrace
is born the day,
eyes open
tall as a foal.

Murmuring river
clasps the mist
for a moment more.
The peaks are signing on
the sky.
Stop and hear
the milking machines
designed to suck like calves.
In the first heat
the forested hills calculate
their steepness.

The lorry driver is taking the road
to the pass which leads
surprisingly
with its own familiarity
to another homeland.
Soon the grass will be
warmer
than the cows’ horns.
The astounding comes
towards us
outrider of death and birth.

***

John Berger (Londres 1926- 2017)And our faces, my heart, brief as photos (Vintage, 1984) – La louche et autres poèmes (Le Temps des Cerises, 2012) – Traduit de l’anglais par Carlos Laforêt

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