François Bayrou sycophanté

Publié le 26 juin 2017 par Sylvainrakotoarison

" François Bayrou est un berger qui a trop longtemps vécu avec des moutons. " (Jean-Louis Bourlanges, "Le Monde" du 7 décembre 2009).

Il ne sera resté que trente-cinq jours Ministre d'État, Ministre de la Justice, du Président Emmanuel Macron. François Bayrou n'a pas beaucoup de chance : il a attendu vingt ans pour capitaliser son indépendance politique, il a refusé de grands ministères, peut-être Matignon, entre 2002 et 2012, et au moment où ses idées, ses valeurs, ont conquis les plus hautes sphères de la République, au moment où il est parvenu, enfin, à créer un groupe MoDem avec 42 députés élus sous étiquette MoDem, sans alliance ni à droite ni à gauche (mais en alliance avec LREM), il doit quitter le pouvoir, à 66 ans.
Dans la famille centriste, François Bayrou a une caractéristique. Il agace souvent, il se met à dos beaucoup de monde, par sa démarche personnelle, par son aptitude à se retrouver seul politiquement, mais quand il parle, il y a un sentiment qui se dégage, la familiarité de sa voix, cette idée diffuse qu'il fait partie de la famille quand même, qu'on est dans du connu, dans l'entre-nous quand même. Une sorte d'oncle qui est un peu original, qui va dans des sentiers nouveaux, qui s'aventure dans du hors-piste.
Caliméro était d'abord considéré pour beaucoup comme un "loser". On parlait de la dégringolade de l'UDF qui avait atteint 215 députés en mars 1993, mais on oublie de rappeler que la création de l'UMP avait phagocyté quasiment tous les parlementaires de l'UDF et sans lui, il n'y aurait même plus eu d'UDF en 2002 ! Il avait obtenu près de 19% des voix le 22 avril 2007, mais il n'avait pas su les garder. Il avait tout perdu en quelques semaines, refusant toute alliance aux élections législatives. À l'époque (en juin 2007, il y a dix ans), il avait réussi à se faire réélire, ainsi que Jean Lassalle (qui l'a quitté après les élections régionales de décembre 2015, au point d'être lui-même candidat à l'élection présidentielle de 2017).
Le 13 mai 2008, dans des chroniques polémistes, le journaliste Bruno Roger-Petit, sous une plume anonyme, faisait ainsi parler François Mitterrand à propos du Béarnais : " En six mois, il a tout perdu. L'élection présidentielle, les élections législatives, son parti, ses élus, ses amis, ses fidélités... Il ne lui reste rien, hormis son parti croupion avec ce nom ridicule, le MoDem, Marielle de Sarnez, sa fidèle collaboratrice (autant dire un boulet qu'il s'est attaché au pied et qu'il va traîner longtemps), et sa persévérance. " ("François Mitterrand 2008, il revient" chez Ramsay).
Marielle de Sarnez, à 66 ans, n'a certainement jamais été un "boulet" pour François Bayrou. Au contraire, sans elle, il ne serait plus rien aujourd'hui. C'est grâce à cette indéfectible fidélité qu'il a su trouver les ressources pour durer dans un environnement politique très hostile et très isolé. Elle aussi, on lui a proposé des ponts d'or ministériels pour quitter François Bayrou. Les liens de la loyauté coûtent une fortune.
Sa fidélité est tellement solide que son destin politique s'est associé à celui du président du MoDem au point d'écourter son aventure ministérielle de la même manière : trente-cinq jours de Ministre déléguée (auprès de Jean-Yves Le Drian) chargée des Affaires européennes, l'un de ses projets clefs dans son engagement politique depuis le début des années 1970 et l'épopée giscardienne.
Voici ce que Marielle de Sarnez a déclaré le 24 juin 2017 pour exprimer sa tristesse d'avoir dû quitter le gouvernement : " Le 17 mai, j'ai été nommée au gouvernement et je l'ai accepté avec bonheur. Cette proposition m'avait été faite à deux reprises entre 2002 et 2007. Je l'avais refusée, ne me sentant pas en cohérence avec le projet présidentiel qui était alors incarné. Cette fois-ci, c'était différent. Je me sentais partie prenante de l'action à mener, si proche de l'inspiration qui guidait les pas du nouveau Président, reconnaissante de sa confiance, et heureuse d'agir à ses côtés pour réconcilier les Français avec l'idéal européen. Ces dernières semaines auraient dû être les plus belles de ma vie politique. Elles ont été les plus tristes. Pour (...) tous ceux qui n'avaient jamais imaginé (...) qu'un tel déferlement de malveillance puisse même exister. Je me suis sentie meurtrie, abîmée. (...) Et ces jours ont été bien tristes aussi pour François Bayrou. Toute une vie consacrée à élever toujours le débat, à croire au meilleur des hommes et au meilleur de la démocratie, fracassée d'un seul coup. Mais j'ai confiance. Cet incroyable emballement médiatique finira par laisser place au discernement. " (Facebook).
Finalement, Marielle de Sarnez, élue députée de Paris le 18 juin 2017, a choisi le 25 juin 2017 de ne pas présider le groupe MoDem à l'Assemblée Nationale alors que le 24 juin 2017, Richard Ferrand a été élu président du groupe des 308 députés LREM.
Eh oui, Monsieur Propre de la politique française a été victime d'un rafraîchissement judiciaire. François Bayrou a dû quitter Place Vendôme pour la même raison qu'il y est entré : pour des raisons de moralisation de la vie politique. Le Schtroumpf à lunettes centriste avait pourtant porté très haut cette exigence de la probité et de l'honnêteté en politique. Il avait définitivement renoncé à soutenir la candidature de François Fillon à partir du moment où ce dernier était "enlisé" dans les affaires fin janvier 2017. Quand il a rejoint la candidature d'Emmanuel Macron le 22 février 2017, il avait mis comme condition la mise en œuvre rapide d'une loi sur la moralisation de la vie politique (Emmanuel Macron lui a immédiatement dit "tope-là !").
Deux jours après sa nomination comme Garde des Sceaux, on apprenait qu'il serait convoqué le 10 janvier 2019 dans un procès pour lequel il était déjà mis en examen pour une obscure affaire de diffamation. Rien à voir avec la probité, mais déjà, cela ne faisait plus très sérieux d'imposer la règle de renvoyer les ministres mis en examen et que le Ministre de la Justice lui-même était déjà mis en examen. Pas plus sérieux, en tout cas, que de proclamer sur TF1 le 26 janvier 2017 que si l'on était mis en examen, naturellement on renoncerait à sa candidature à l'élection présidentielle, et que finalement, le 1 er mars 2017, on déciderait malgré tout de s'obstiner à rester candidat, en dépit d'une mise en examen programmée.
Politiquement, ce n'est pas cette affaire de diffamation qui l'a handicapé, mais l'affaire dite des assistants parlementaires du MoDem au Parlement Européen, pour laquelle une enquête préliminaire a été ouverte le 22 mars 2017 (et rendue publique par "Le Parisien" du 30 mai 2017). Autant dire que, comme pour Richard Ferrand, comme pour le FN, François Bayrou a pris le même type de défense que François Fillon pendant la campagne présidentielle. Refusant de se dire "coupable" (la justice "tranchera", évidemment) et accusant ses détracteurs et ses accusateurs.

J'aurais aimé entendre François Bayrou parler ainsi, comme lors de sa conférence de presse le 21 juin 2017, dans les locaux mêmes du MoDem, au 133 bis rue de l'Université, dans le 7 e arrondissement de Paris, lorsque François Fillon se sentait injustement accusé par les médias et ses opposants politiques. À cette époque-là (pas si ancienne, quelques mois), François Bayrou faisait partie des accusateurs.
J'aurais toujours une petite fascination pour le responsable politique capable de sortir le très beau et délicieux mot " sycophante" que j'avais adoré apprendre lors de mes cours de grec il y a maintenant longtemps ( à une époque où l'on n'interdisait pas aux collégiens de se cultiver et d'apprendre les langues anciennes). Sycophante, cela veut dire exactement "délateur de voleurs de figues", sens qu'on élargit un peu exagérément par délateur ou dénonciateur.
Certes, je l'ai trouvé exagérément maladroit en mettant sur le même plan les dénonciations sous le régime de Pétain et cette dénonciation politico-financière. Mais j'ai trouvé néanmoins que François Bayrou avait mis le doigt sur un élément majeur : comment peut-on chuter par de simples dénonciateurs qui ont un conflit d'intérêt dans l'affaire, puisque ceux qui ont dénoncé l'affaire qui le concerne sont soit en conflit direct avec son parti (judiciaire), soit des opposants politiques ? J'aurais aimé, je le répète, l'entendre dire cela il y a trois mois, avant l'élection présidentielle, à l'époque où François Fillon se sentait injustement accusé de manque de probité alors que, pour se distinguer, il avait axé sa campagne de la primaire LR sur la probité (contre Alain Juppé, ancien condamné, et Nicolas Sarkozy, mis en examen).
On ne peut pourtant pas douter de la bonne foi de François Bayrou, c'est sans doute cela sa tragédie personnelle. Déjà le 25 février 2012 à la Maison de la Chimie à Paris, lors de la précédente campagne présidentielle, François Bayrou avait proposé une loi de moralisation de la vie politique en imaginant de la soumettre au référendum en même temps que le premier tour des élections législatives consécutives. Un projet de loi qu'il a finalement présenté au cours de sa conférence de presse du 1 er juin 2017 et qu'il a fait adopter au conseil des ministres du 14 juin 2017.

Ce fut donc principalement cette motivation qui l'a encouragé à renoncer au gouvernement : " On devinait bien que le débat au parlement allait être détourné de son sens. Or c'est une loi à laquelle je tiens beaucoup, à laquelle j'ai beaucoup donné. Je donne plus de prix au but à atteindre qu'à mon rôle personnel. J'en ai donc tiré les conclusions. Je choisis la liberté de jugement et la liberté de parole. Je choisis de préserver la loi de moralisation. " (21 juin 2017).
Pourquoi a-t-il parlé de "liberté de parole" ? Parce qu'il a été épinglé par le responsable de l'investigation à Radio France qui avait dénoncé sa pression téléphonique (appel du 9 juin 2017), ce qui avait abouti à un "recadrage" du Premier Ministre Édouard Philippe invité de la matinale de France Info le 13 juin 2017, suivi d'une déclaration de François Bayrou à l'occasion d'un déplacement à Lens où il avait persisté et signé en se montrant incontrôlable : je parlerai si j'ai des choses à dire ! Une confusion des genres, entre le citoyen, le président du MoDem, le maire de Pau et le Ministre de la Justice, qu'il avait déjà entretenue lorsqu'il avait apporté son soutien à Marielle de Sarnez quelques jours auparavant, le 30 mai 2017 (son titre sur Twitter ayant changé, passant de Ministre de la Justice à maire de Pau !).

Le lendemain, le 14 juin 2017, la plupart des journaux titraient donc sur le "couac Bayrou" et le "problème Bayrou", problème pour Emmanuel Macron. François Bayrou était alors décrit comme convaincu qu'il n'était pas un ministre comme les autres et que les règles de confidentialité, d'exemplarité et de solidarité ne devaient pas forcément s'appliquer à lui, comme s'il se considérait un ministre intouchable, en tant que faiseur de roi. La réalité, ce serait plutôt que François Bayrou commencerait à devenir encombrant pour Emmanuel Macron, d'autant plus qu'une large majorité des militants LREM étaient favorables à une "exfiltration" de François Bayrou du gouvernement (dans un sondage Elabe du 22 juin 2017, près de 70% des sondés auraient applaudi le départ de François Bayrou et de Marielle de Sarnez).
Résultat, ce fut la Ministre de la Défense Sylvie Goulard, LREM ex-MoDem (qui fut députée européenne du MoDem et donc également touchée par l'affaire) qui amorça le retrait de ses deux autres collègues du gouvernement, en annonçant le 20 juin 2017 qu'elle quittait le gouvernement pour se défendre de sa bonne foi, sans démentir les faits reprochés.
Le 21 juin 2017, François Bayrou a plaidé néanmoins son innocence : " Nous n'avons jamais eu d'emplois fictifs. Pour le prouver, j'ai une absolue confiance en la justice. Mon nom n'a jamais été cité dans cette enquête, et pour cause. Mais je n'ai aucun doute que j'étais, de ces dénonciations, la véritable cible, dans le but de décrédibiliser la personne qui portait la loi. Il y a un certain nombre de forces pour qui ce serait un obstacle. ". Pour lui, ce serait donc la théorie du complot qui dominerait, alors que la défense par la théorie de complot avait complètement discrédité François Fillon en mars dernier. La leçon n'a pas été comprise.
Enfin, François Bayrou a réaffirmé son soutien à Emmanuel Macron qui est, selon lui " à la hauteur de la fonction ", ce qui s'est traduit le 21 juin 2017 par la nomination de deux nouveaux ministres du MoDem, Jacqueline Gourault (auprès de Gérard Collomb) et Geneviève Darrieussecq (auprès de Florence Parly) : " Nous serons porteurs de stabilité, des capteurs des mouvements et des attentes de notre société . (...) Je serai à côté du Président de la République pour l'aider et pour le soutenir, fidèle à une entente politique et personnelle à laquelle j'attache du prix. Au fond, cette décision est une décision pour servir. Servir une certaine idée désintéressée de la politique. " (21 juin 2017).
Face à l'attente de vingt ans entre son départ du Ministère de l'Éducation nationale (avec l'arrivée du gouvernement de Lionel Jospin) et sa nomination dans le premier gouvernement d'Édouard Philippe, François Bayrou a voulu "rassurer" les journalistes en disant qu'il ne mettrait certainement pas encore vingt ans de plus avant de retrouver un nouveau ministère, laissant entendre qu'il pourrait de nouveau se retrouver au sein du gouvernement lorsque la justice l'aura innocenté.
Mais dans ce cas, Emmanuel Macron en aurait-il alors encore vraiment envie, sinon besoin ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 juin 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Bayrou sycophanté.
François Bayrou, ex-futur Premier Ministre...
Édouard Macron II : bientôt la fin de l'indétermination quantique.
Les Langoliers.
La Ve République.
Loi de moralisation de la vie politique (1er juin 2017).
Emmanuel Macron et la fierté nouvelle d'être Français ?
Richard Ferrand, comme les autres ?
Édouard Macron : d'abord l'Europe !
François Bayrou se macronise.
Déclaration à la presse de François Bayrou le 22 février 2017 à Paris (texte intégral).
Réponse d'Emmanuel Macron à François Bayrou le 22 février 2017 (texte intégral).
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Emmanuel Macron est-il de gauche ?
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