(Note de lecture), Jean-Paul Klée, "Décembre difficile", par Jacques Morin

Par Florence Trocmé

JiPéKa dans sa graphie si originale et si singulière continue son travail de dysorthographie. Il y a en effet torsion du conventionnel puisque sa poésie est puissante à tel point qu’elle déborde sur la morphologie des mots eux-mêmes. Et l’on s’en tiendra pour l’heure aux nouveautés syntaxiques de son dernier recueil : graphie revisitée : chewox, mots écourtés : berlüé, limenté, mélioré, apport de l’accolade pour séparer les syllabes et insister sur la diérèse ou forcer le –e muet : grâci[eux, ri[en, la suit[e, … La grammaire bien entendu n’est pas oubliée : J’attendre, j’arpentas, où ss’k’on… Il lui arrive de terminer ses poèmes par deux points (:), ce qui fait soudain déboucher la lecture dans le blanc qui suit, vaste zone improbable et floue. Et je ne parle pas de l’art très personnel de l’enjambement grâce auquel on reconnaît le poète au premier coup d’œil.
Chaque page ainsi traitée garde néanmoins son apprêt lyrique. Jean-Paul Klée pourra parler aussi bien du lointain Orient que du moucheron sous ses yeux, il le fera avec autant de cœur, de délicatesse et d’imagination. N’importe lequel de ses poèmes se rapproche au plus près des enluminures, les dorures résidant cette fois dans les mots et les vers. Deux thèmes reviennent davantage : l’âge et la mort d’abord, et s’il note les dégradations physiques, ce n’est pas pour s’en plaindre, il loue même le bonheur d’être en vie qui lui reste, mais la mort est bien présente et il en parle familièrement comme pour mieux la domestiquer ; ensuite, son œuvre débordante et le désordre qu’il n’arrive pas à résorber et que dire de la joie de retrouver une liasse de textes (800 feuillets !) écrits à 17 ans et de se relire et de redécouvrir. En outre, il y a toujours autant de verdeur chez l’auteur, né en 1943, et une facilité surprenante pour exprimer le charnel Ce troussement de l’intime… dans un poème extraordinaire : « L’ardente roseraie ». Enfin, pour exemple, cette accumulation d’adjectifs caractéristiques du grand auteur alsacien :
absorbés palourdés tricotés balüz
ardés ratiminis caliminés chahütés ou
canardés troués rapiécés kalfeu
très carottés mansardés gamahü
chés bombardés amenuisés vagu
ement floués nourris astik
otés….

Le lire tout au long d’un recueil dans sa diversité demeure un délice unique.
Jacques Morin


Jean-Paul Klée, Décembre difficile, Belladone, 2017, 111p. 12 € ; sur le site de l’éditeur où l’on peut lire un extrait du livre.
voir aussi ces extraits du livre dans anthologie permanente de Poezibao. On pourra aussi relire les cinq entretiens avec Jean-Pascal Dubost : entretien avec Jean-Paul Klée par Jean-Pascal Dubost (1, 2, 3, 4 et 5 avec PDF)