Michaël Borremans « The Banana » est un nœud

Publié le 27 juin 2017 par Thierry Grizard @Artefields

Michaël Borremans portrait ou nature morte ?

Où est le sujet ?


Michael Borremans, The Banana

Michaël Borremans, art contemporain, artiste peintre, peinture | Article publié par Thierry Grizard le 24 juin 2017.

Michaël Borremans et « …ces incidents brillants de clarté formelle et au contenu impénétrable » — Samuel Beckett, « Watt », 1953.

Michaël Borremans un hommage à Velasquez

Michaël Borremans (1963/…) dans ce portrait qui n’en est pas un, se livre à un de ses jeux préférés créer l’ambiguïté. Dans ce magnifique tableau, à la facture classique très inspirée de Velasquez, le peintre belge provoque ce qu’il cherche systématiquement: l’arrêt.

© Michael Borremans. « The Banana ».

 

Un peu d’ironie!

Borremans conçoit la peinture comme un nœud qui avant toute chose se veut indéchiffrable tout en paraissant proposer un sujet par sa composition générale.
De prime abord l’on « voit » cette toile comme étant un portrait. Mais le centre de la composition s’oriente vers…une banane. Il y a évidemment comme toujours chez Michaël Borremans une bonne dose d’humour flirtant avec l’ironie, voire la moquerie à l’égard de tous les « regardeurs » qui voudront commenter.

Le motif est ailleurs

Ici la lumière inspirée des peintres espagnols tels que Goya, Zurbaran (voir notre article) ou bien entendu Velasquez se concentre vers un modeste fruit sur lequel toute l’attention apparente du personnage est concentrée. Mais cette pose relève moins du portrait que du moment suspendu.
Michaël Borremans prépare avec beaucoup de minutie ses compositions, notamment par des mises en scènes photographiques très élaborées, incluant costumes, accessoires et éclairages dirigés. Dès lors ce temps arrêté n’est autre que celui de la prise de vue. Ce n’est cependant ni un instantané (plus ou moins sans qualité) repris en peinture (Comme Richter par exemple, voir notre article) ni un portrait d’atelier à la Lucian Freud.

© Michaël Borremans. « The Banana », 2006.

 

Une idée pour peindre

Avec « The Banana », il ne s’agit donc pas du portrait d’un modèle vivant dont on veut saisir ou la vérité ou l’intensité de la présence physique. Le peintre ne se soucie pas de véracité mais d’une « idée visuelle » à figurer. Un idée qui aura été retenue pour sa capacité à se dérober à l’analyse.

Quel est le sujet ? « The Banana » ?

Au final ce qui est représenté ce n’est ni une nature morte, ni un portrait, ni une scène de genre, mais un « momentum », un élan figé, sous la forme d’une boucle narrative qui ne mène nul part. Le but est atteint, créer une très grande intensité plastique qui dans l’immobilité de l’action et du temps nous laisse concentré dans l’impact du tableau.
Le personnage central c’est évidemment la lumière et le modelé presque sculptural qui est donné des matières: la brillance des cheveux, les plis et la texture du t-shirt, sa couleur olive très proche de certains tableaux de Velasquez, l’avant bras droit et les mains qui sont à peine esquissés en de grands coups de brosse épais et fluides, et bien sûr le jaune éclatant de la banane par ailleurs assez peu détaillée. Ceci dit, « The Banana » joue tout de même un rôle essentiel dans cette composition, elle introduit l’incongruité. Elle est l’objet accidentel du rébus sans solution que propose le peintre plasticien.

© Michaël Borremans. « The Banana », 2006.

La dernière bande *

Ce tableau de Borremans ne pourrait être qu’un exercice de style mais si la technique est certe ouvertement inspirée des grands maîtres espagnols l’effet obtenu est unique et original.
« The Banana » est une démonstration magistrale de ce que veut l’artiste peintre belge: que la peinture nous capte dans le mystère qui lui est propre. La peinture est un langage spécifique qui emprunte à sa propre histoire et qui, quand elle est figurative, recompose des éléments du réel dans un récit. Chez Michaël Borremans la trame narrative est fondamentale mais évidée de sa signification, elle n’illustre pas, ne conte pas, elle boucle sur elle-même, à l’image (au sens fort) d’une pièce de Samuel Beckett.

 

« …il ne s’agit nullement d’une prise de conscience, mais d’une prise de vision, d’une prise de vue tout court. Tout court ! Et d’une prise de vision au seul champ qui se laisse parfois voir sans plus, qui n’insiste pas toujours pour être mal connu, qui accorde par moments à ses fidèles d’en ignorer tout ce qui n’est pas apparence : au champ intérieur. » — Samuel Beckett, « Le Monde et le Pantalon », 1945. A propos de Abraham et de Gerardus van Velde.

 

*   « La Dernière Bande » est un texte de théâtre de Samuel Beckett publié en 1960.


© Michaël Borremans.

Courtesy les galeries, Christie’s London.


Les galeries qui représentent Michaël Borremans:

Belgique
Zeno X Gallery, Anvers.
Dauwens & Beernaert, Bruxelles.
Etats-Unis
Kunzt.gallery, Miami.
David Zwirner, New York.
Japon
Gallery Koyanagi, Tokyo.
Royaume-Uni
David Zwirner Gallery, Londres.

Christie’s London page du Lot


Christie’s London


« The Banana » de Michaël Borremans a été proposé aux enchères chez Christie’s London le 12 février 2016 et a atteint au marteau (hors frais) 332 982 €.


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Les nœuds « borremaniens »









Diego Velásquez, portrait de « Juan de Pareja », 1650, huile sur toile, 81.3 x 69.9 cm.

 

Photographie

Francesca Woodman

Nobuyoshi Araki


Thierry Grizard | Artefields.

Webmaster et auteur.

Artefields, couvre à travers un fil d’actualité fourni et quotidien l’ensemble des expositions à Paris, en France et pays francophones, mais aussi les grands évènements internationaux. Les champs d’intérêts sont essentiellement les arts plastiques, en allant de la peinture aux installations en passant par la sculpture. Nous nous efforçons également de découvrir ou soutenir d’un point de vue rédactionnel de nouveaux talents. Les articles de fond, ou analyses tentent de prendre un peu de distance relativement à l’actualité artistique afin de mieux éclairer cette dernière. De nombreuses galeries d’images sont à la disposition du lecteur qui pourra se faire une première idée du travail des artistes concernés. La ligne éditoriale ne se veut néanmoins pas exhaustive et revendique une part inévitable de subjectivité.

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