Egalité ou équité ?

Publié le 29 juin 2017 par Charlesf

Égalité ou équité ?
Un texte essentiel de Marc Blondel

LE MONDE | 24.01.2005

L'ÉQUITÉ est à la mode. A première vue, cela peut sembler une bonne chose. Il n'en est cependant rien. Car au travers de l'équité, ce que certains politiques ou experts _ tel Alain Minc _ véhiculent, c'est une remise en cause importante des valeurs républicaines. Si les deux mots, égalité et équité, ont la même racine latine, leur sens n'en est pas moins différent.

Selon le dictionnaire Larousse, l'équité est autant " la vertu de celui qui possède un sens naturel de la justice, impartial " que " la justice morale ou naturelle, considérée indépendamment du droit en vigueur ". L'égalité, selon la même référence, est " le rapport entre individus, citoyens, égaux en droits et soumis aux mêmes obligations ". De fait, l'équité s'apparente à une " égalité flexible ", permettant des interprétations multiples. Que ce soit en fonction de la situation, de celui qui parle ou est concerné, d'impératifs divers, économiques par exemple.

Les partisans de l'équité, par opposition à l'égalité, ont notamment comme référence un professeur américain, le professeur Rawls, selon lequel il convient de distinguer parmi les inégalités celles qui sont justes de celles qui sont injustes. Seules seraient justifiées les inégalités profitant aux plus défavorisés et n'affectant pas les droits fondamentaux. Mais de quel type d'inégalités peut-il s'agir ? D'une inégalité vis-à-vis du droit. Il faut pouvoir déroger au droit pour peu que cette dérogation bénéficie aux plus défavorisés.

Qui juge le fait que la dérogation sera bénéfique ? Qu'est-ce qui est juste ou injuste ? Qu'est-ce qu'un " juste " salaire ? En vertu de quoi le principe de la dérogation ne conduit pas à minimiser et affaiblir le droit ? Autant de questions que ne se posent pas les partisans de l'équité contre l'égalité. Ce principe de la dérogation revêt, dans le domaine social notamment, une appellation que nous avons rencontrée à plusieurs reprises, celle de " discrimination positive ". C'est en son nom, par exemple, que les femmes doivent être autorisées à travailler la nuit. En ce domaine, les partisans de la " discrimination positive " n'ont nullement pensé à limiter sérieusement le travail de nuit des hommes.

A partir du moment où celui qui décide est celui qui fixe le caractère juste ou injuste, l'équité ne peut qu'être facteur d'inégalités croissantes. D'autant d'ailleurs que ses partisans s'appuient sur une mécanique bien connue. Certains droits n'étant plus universellement respectés, il convient de les modifier pour tenir compte de la réalité. Le droit au travail n'est plus respecté. Créons le droit à l'activité ou à l'insertion ! Le droit du travail n'est plus respecté. Déréglementons-le !

Il ne viendrait pas à l'esprit, par exemple, de renforcer le rôle des inspecteurs du travail en matière de contrôle ou de mettre en œuvre une politique économique orientée vers l'objectif de plein emploi. Car _ et c'est là l'un des points caractéristiques du raisonnement des Saint-Just de l'équité _, les contraintes économiques sont incontournables et il faut s'y adapter. Liberté, égalité, fraternité, ces valeurs républicaines issues du souffle de la Révolution ont toujours revêtu un caractère d'objectif et d'utopie. Qu'elles n'aient jamais été totalement respectées n'est pas une nouveauté. Ce n'est pas une raison pour les considérer comme dépassées et archaïques et les remplacer par " libéralisme, équité, individualisme ".


La colère gronde au Jeu de paume, « comme une barricade de corps qui disent non ! »
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En prenant référence sur des travaux américains, les partisans de l'équité oublient tout simplement que la démocratie américaine est très différente de la démocratie française. Aux États-Unis, les droits sont avant tout individuels. Cela explique notamment tous les débats du syndicalisme, en son temps, autour du port d'armes ou de la sécurité sociale. En France, droits individuels et collectifs sont intimement liés dans la conception républicaine. C'est aussi ce qui est à l'origine de la laïcité.

Pour respecter l'égalité, il faut certes être impartial, mais s'appuyer sur des droits reconnus par la loi. Un bon prince, soucieux du bien de ses sujets, peut être équitable. Dans cet ordre d'idée, le RMI devient équitable, puisque le droit au travail est devenu impossible. L'équité est à l'égalité ce que l'humanitaire spectacle est à la politique : un alibi pour ne pas s'attaquer aux vrais problèmes. Penser équité, c'est être finalement soumis. Penser égalité, c'est être rebelle.

Marc Blondel


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