Contempler le monde : un exercice poétique

Publié le 02 juillet 2017 par Eric Acouphene
Est-on jamais entré dans les airs ? J'entends : à l'intérieur de l'air, comme on pénètre les flots lavés du matin. À l'intérieur des airs où loge le silence. Les airs qui font l'espace, la vision et le souffle d'un même élan.  A-t-on jamais plongé dans la pureté des airs ? Dans le frais, dans le froid. Le clair, le vif. Le vaste. En les sentant se refermer derrière soi, plus fins que la frémissante transparence des eaux, loin au fond de la vision, et en y pénétrant avec la peau, l'œil et ses couleurs, l'ouïe comme un câble tendu dans les vents.

Les trésors du monde
On y entre en fendant la vague, d'une hauteur incommensurable, toute de verreries, s'y noyant et se redressant mille fois, ruisselant de scintillations, ou en s'égarant dans l'évanescence d'une musique omniprésente, sans jamais pouvoir épuiser l'espace qu'échafaudent les notes, marche après marche, suspendues, en s'ouvrant indéfiniment, et peut-être finirons-nous par toucher les fins cristaux de lumière qui font l'azur, les trésors du monde qui brillent au fond du ruisseau des airs. Il n'y a pourtant qu'un seul chemin, pour monter et pour descendre - mais si tu prêtes bien attention, dans les brèches, les échancrures de la roche, il continue tout droit, d'un empan démesuré, entraînant tout ce que tu auras su regarder, porter, aimer. Vois ce pic dressé, solitaire dans le bleu, et comme détaché de la terre, sans âge, pris dans un mouvement qui nous échappe. Vois l'étalement de sa base, les fronces, les plis amples et nombreux, puis l'irrésistible élan de son sommet. C'est ainsi que la montagne est faite, c'est ainsi que nous sommes conçus, bien que nous ayons encore à l'apprendre. Mais les airs - mais l'espace - le chant d'azur, qui pourra nous le rendre dans le murmure d'un ruisseau, qui nous en donnera l'accès, comme on enfonce le bras dans les brillances glacées pour saisir le joyau d'un galet dans la transparence ?

Ce que l'œil ne voit pas

Peut-être n'y a-t-il que ce geste d'atteindre, sans fin, par tous les chemins, le cri d'une voix infatigable, vers la lumière, l'ouvert, cette mystérieuse béance échappée des doigts d'or de la terre, qui s'allongent avec le regard, les mains tendues, le souffle éperdu remuant l'azur pour en fixer le point d'origine. La spirale, on ne la voit pas, qui entraîne toute chose d'une invincible aimantation, du fond des vallées, où l'air se tasse et s'effiloche au long des routes, jusqu'aux clameurs de la pierre grisée d'altitude, foudroyée d'immensité. Un jour se prépare, d'un éclat insoutenable, et l'œil ne pourra le voir qu'en brûlant les contours de la vision, en écartant les ombres d'un ciel encore lourd de nos paupières soulevées. 

Regarder vers les hauteurs

Ce n'est pas l'heure, et l'herbe la guette, peuple des airs, de sa pointe minuscule dardée comme une antenne, d'un vert si fin, si aigu qu'elle couvre les pentes d'un même frémissement bleu. Tu la caresseras longtemps, tu regarderas vers les hauteurs avec elle, avant d'engager ta petite taille dans l'étroit goulet qui plonge entre les rochers. Tu épouseras alors son louvoiement, tu entreras dans sa docilité, comme tu t'es coulé dans l'effort des lacets ascendants. Tu descendras - parce que ce mouvement est aussi celui de la terre, à part égale avec la spirale du rapace, le lasso des sentes vertigineuses. Les anges eux-mêmes, incessamment, montent et descendent, au-dessus de la tête des enfants ou des échelles suspendues dans la nuit - et ce sont eux qui font les cieux toujours ouverts.

Philippe Mac leod
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