Essentiel

Publié le 12 mai 2008 par Oenotheque

Raymond Dumay : La mort du vin.

S’il existe des vins que tout amateur devrait avoir dans sa cave, il en est de même pour quelques livres de grande garde. Celui-ci en fait indéniablement partie, car son contenu, loin d’être devenu obsolète avec les années, s’est largement bonifié, montrant toute la puissance de la pensée de Raymond Dumay. Il nous offre en effet des clés de lecture extrêmement pertinentes pour décrypter les évolutions du monde viti/vinicole depuis ses origines jusqu’à nos jour. Ecrit en 1976, l’ouvrage ne se voulait pas prémonitoire. Mais force est de constater que la rigueur et la justesse de l’analyse qu’y poursuit son auteur en font un livre à (re)découvrir d’urgence pour appréhender les liens entre le vin et les civilisations, depuis Sumer jusqu’à l’actuel phénomène des vins du « Nouveau Monde ».

Car Raymond Dumay nous rappelle cette évidence trop souvent oubliée : le vin qu’on vante, qu’on chante, qu’on achète et qu’on vend, que finalement on boit, est le vin du puissant. C’est toujours le vin du vainqueur, que la guerre ait été militaire ou économique, qui s’impose, indépendamment de ses qualités intrinsèques. Et il sait y faire, le vin, pour s’associer au sabre comme au goupillon, pour voyager dans les chariots des légions romaines comme pour charmer un chanoine, dans le seul but d’étendre son territoire.

Des preuves ? L’auteur n’en manque pas. Pour ne rester qu’en France, son principal terrain d’investigation, voyez comment les jurats de Bordeaux ont, par leur lois protectionnistes, réduit à l’état de misère les vignerons du pays-haut (vignobles de la Dordogne et de la Garonne). Ou encore, comment, par d’obscures alliances militaires, Bordeaux a obtenu la quasi-destruction des vignobles de La Rochelle. Vous pensiez le champagne plus vertueux ? Vous ignoriez par quels mensonges médicaux elle a réussi à évincer les vins de l’Orléanais de la cour royale. In fine, c’est bien tout le vignoble européen qui peut être vu comme une création de la guerre ! Et l’éloignement du barycentre du monde viti/vinicole de la « vielle Europe » que nous vivons actuellement ne semble être que le dernier épisode du feuilleton des alliances toujours renouvelées du vin avec les puissants du moment.

En associant le vin à un personnage et en suivant sa psychologie, plutôt que d’en faire un objet d’étude économique ou agraire, Raymond Dumay adopte une perspective originale, permettant de bousculer bon nombre de nos certitudes. C’est une histoire ancienne qu’il nous conte, mais sous un jour entièrement nouveau, avec lyrisme et précision, nous étonnant à chaque page. Un ouvrage essentiel qui, même près de dix ans après le décès de son auteur, n’a pas pris une ride !

 



La mort du vin
. Raymond Dumay. Préface et dessin de couverture de Jean-Claude Pirotte. 268 pages. Editions de La Table Ronde, collection La Petite Vermillon. 2006 (édition originale de 1976). 8,50 €.