Au coeur de l’Amérique sauvage

Par Carmenrob

Vous trouvez l’Amérique de Trump violente? Dennis Lehane, auteur d’Un pays à l’aube, nous en livre un portrait encore plus sauvage. Nous sommes en 1919, à Boston. Les rescapés de la Grande Guerre reviennent au pays, dans certains cas pour y mourir de la grippe espagnole, sinon, pour reprendre des emplois aux femmes et aux Noirs qui avaient fait tourner la machine durant leur absence. Ces Noirs qui ont fui le Sud pour tenter d’échapper au risque d’être tué pour un oui ou pour un non, mais qui retrouvent dans le Nord-Est un racisme encore très présent. Cet après-guerre, c’est aussi la laborieuse naissance de la syndicalisation avec ses grèves durement réprimées, les velléités d’instauration du communisme, les groupuscules de toutes allégeances, ses attentats. Ce sont les groupes ethniques — Italiens, Irlandais, Juifs et les autres — en train de créer le grand melting pot qui décrit souvent ce pays d’immigration. Ce sont encore les soubresauts d’un peuple qui ouvre les yeux sur les inégalités sociales et qui lève le poing.

On suit plus particulièrement Danny Coughlin, policier, fils de policier, amoureux de son métier et pourtant anticonformiste, idéaliste. Il fera la connaissance de Luther, un Noir en fuite avec qui il nouera une solide amitié. Danny deviendra à son corps défendant le leader qui mènera les troupes vers la grève et portera l’odieux du chaos qui en découlera. Par le biais de leur destinée, Lehane nous brosse une grande fresque d’un pays en train de se faire.

L’écriture est précise, efficace, sans lyrisme. Comme dans cet extrait où Danny visite son collègue frappé par la grippe espagnole.

À son arrivée, Danny avait reçu un masque et des gants; les gants se trouvaient dans la poche de sa pèlerine, le masque pendait devant son cou. Pourtant, il ne pouvait se résoudre à ôter le rempart de mousseline entre Steve et lui. Pas par peur de la contagion; au cours des quelques semaines écoulées, si on n’avait pas fait la paix avec son créateur, c’est qu’on pensait ne pas en avoir. Mais voir la maladie ronger Steve, c’était une autre histoire, et Danny aurait volontiers passé son tour. L’idée de la mort ne l’effrayait pas; le spectacle de l’agonie, si.

Un pays à l’aube est un excellent roman, captivant, bien écrit, instructif.

Dennis Lehane, Un pays à l’aube, Éditions Payot et Rivages, 2009, 651 pages