La bande dessinée au Niger

Publié le 29 août 2017 par Africultures @africultures

Peu connu pour son dynamisme en matière de BD, de livres illustrés ou de presse satirique, le Niger n’est pas, a priori, un terrain favorable à l’expression des illustrateurs et des dessinateurs. Démonstration avec cet état des lieux des productions en matière de bandes dessinées.

En décembre 2005, les 5e Jeux de la Francophonie se déroulaient au Niger. Y étaient exposées des planches de bandes dessinées importées du Festival international d’Angoulême en France. Cet événement, salué par la presse, connut un réel succès auprès du public lui donnant l’occasion de découvrir un art peu répandu dans le pays. Auparavant, l’une des rares manifestations de ce type touchant au 9e art concernait la venue du bédéiste béninois Hector Sonon à l’occasion de Lire en fête 2004. Parallèlement avait lieu l’exposition A l’ombre du baobab proposée par l’ONG française Équilibres et populations. Elle accompagnait la sortie d’un album collectif d’auteurs africains, le premier du genre destiné à sensibiliser l’opinion publique et plus spécialement les jeunes sur l’éducation et la santé en Afrique. L’exposition avait été inaugurée dans le cadre du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en janvier 2002 et avait circulé en France et en Afrique, présentée par des dessinateurs ayant participé au projet (c’était le cas de Sonon). Mais aucun dessinateur nigérien n’avait participé à cette aventure.

Genèse de la BD nigérienne

La bande dessinée nigérienne est jeune et ne compte guère de réalisations concrètes. Elle a démarré dans les années 1980, époque où le Sahel Dimanche, émanation du Sahel quotidien – premier journal du Niger indépendant – offrait à ses lecteurs des planches de bandes dessinées et de dessins humoristiques signés Gabi, dessinateur décédé depuis.

En 1994, le caricaturiste Alassane Aguelasse (né en 1967) a édité grâce à un soutien de la Coopération Française, une œuvre d’une cinquantaine de pages en noir et blanc intitulée Femmes du sahel. Cet ouvrage, première BD publiée dans le pays, était divisé en deux parties. La première partie regroupait des caricatures sur les femmes faites par l’auteur durant les quatre années (1989 – 1993) passées à travailler comme caricaturiste pour l’hebdomadaire le Sahel-Dimanche et le quotidien le Sahel (deux organes de presse gouvernementaux). La seconde partie reprenait une douzaine de planches de BD parues entre 1993 et 1994 dans un autre hebdomadaire, Le Paon Africain. Celles-ci narraient les péripéties comiques de Tchiwatché (« mangeur de haricots »), un ancien combattant, vétéran de la campagne d’Indochine et de la deuxième guerre mondiale et chef d’une nombreuse famille. Pour conclure cet ouvrage, l’auteur proposait les aventures policières de Interop, le département ouest-africain de lutte contre le crime organisé.

Dix ans plus tard sortait le seul album cartonné édité à ce jour dans le pays : Tchounkoussouma sous les eucalyptus, une superbe bande dessinée en couleur publiée dans le cadre d’une campagne préventive contre le sida, par l’Agence luxembourgeoise pour la coopération et le développement, Lux – development S.A, en partenariat avec le ministère de la santé. Nanti d’un réel scénario, cet album est une belle réussite comparée à la production habituelle des BD didactiques et de sensibilisation, souvent de très faible qualité. Malheureusement pour le 9ème art nigérien, les deux auteurs étaient des dessinateurs professionnels originaires de RDC : Barly Baruti et Thembo Kash, venus expressément au Niger à trois reprises. Cet album a cependant donné l’occasion à des dessinateurs locaux de l’Association Crayons de sable de participer à un atelier graphique avec Baruti et de collaborer à la création de l’album (en particulier Boulama Adam Boundi, qui a participé aux manifestations des Jeux de la francophonie, Djibo Sani, Djibril Abdoulwahid, Ibrahim Sahabi). Cet atelier n’était pas le premier du genre, le centre culturel français ayant déjà organisé des ateliers et concours dans le domaine du 9e art.

En 2006, l’unique numéro de Nous jeunes, une publication pour la jeunesse[1], contenait les 5 premières planches d’une bande dessinée du jeune camerounais installé à Niamey, Léo H. Mpessa : Raicha et les scorpions. L’arrêt de cette revue pouvait faire craindre que la continuation de cette histoire à épisode, l’une des premières du genre dans le pays, soit interrompue. Fort heureusement, l’année suivante, en décembre 2007, un mini tabloïd gratuit à destination des 18-30 ans sortait Matashi, magazine de la génération consciente, édité par l’ONG spécialisée dans la lutte contre le sida, Crisalide et soutenu par la publicité. Matashi reprenait, depuis le début, l’histoire de Mpessa à raison de 8 planches par numéro. Elle proposait également en 4e de couverture une planche de Djibril Abdoulwahid (également rédacteur en chef) mettant en scène le petit personnage de Toto. La sortie du numéro 5 de Matashi en juillet 2008, verra la fin de Raicha et les scorpions.

Toujours en 2007, Aguelasse publiait en avant dernière page de l’hebdomadaire qu’il a créé, La hache, « hebdomadaire nigérien d’informations satiriques et d’opinions » tirant à mille exemplaires, une petite série dessinée intitulée Ayouba, le tyran du foyer, financée par Oxfam – Québec et réalisée avec l’ONG FEVVF dans le cadre des 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes et aux enfants. Avant Ayouba le tyran, il a également publié sous forme de BD des satires politiques et sociales, notamment – on l’a vu – le personnage de Tchiwatché, celui de Abdou le râleur dans Haské (« lumière »en haoussa), le premier journal privé du Niger et la  série Taxi Portière 007 dans La Hache. Enfin, il est aussi l’auteur d’une BD de sensibilisation sur le sida, Un tueur sournois, pour le Projet Population, BD diffusée dans les écoles du pays.

En 2011, le très actif Djibril Abdoulwahid lance une nouvelle revue de bande dessinée pour les jeunes, Junior. En dehors des planches dessinées par Abdoulwahid (comme par exemple La poule verte dans le premier numéro), Junior proposait une série BD intitulée Le prince de Djéna. Celle-ci s’arrêtera en 2013 avec le N°6.

Au même moment, sortait L’écho des jeunes, un bulletin de sensibilisation en bandes dessinées, avec des histoires dessinées par un artiste nommé Djessy.

Au-delà des campagnes de sensibilisation

En matière de BD, c’est à peu près tout. L’absence de support fait que le bilan est maigre pour ce grand pays de la francophonie. Comme dans de nombreux pays d’Afrique, la bande dessinée y est souvent utilisée par les ONG et des organisations internationales et associations dans leurs campagnes de sensibilisation. C’est particulièrement le cas en matière de santé, où nombre de BD didactiques sont diffusées dans les écoles et autres lieux. Ces campagnes qui permettent également des productions d’affiches, de calendriers et de livrets ne suffisent pas à favoriser le développement d’un secteur qui aurait besoin d’être plus soutenu. La presse pourrait être un bon relais mais dans un pays où la liberté d’expression n’est pas à l’honneur, le métier de caricaturiste peut s’avérer périlleux.

Outre le quotidien pro gouvernemental, Le Sahel, de nombreux hebdomadaires (en moyenne une trentaine) fleurissent régulièrement et disparaissent souvent après 3 ou 4 numéros. Sur l’ensemble des journaux d’opinion qui paraissent à Niamey, Agadez ou Zinder (1 seul titre est publié dans chacune de ces deux dernières localités), moins du quart fait appel à des artistes pour illustrer les articles publiés souvent provocants et racoleurs.

Le milieu de la caricature compte cependant plusieurs noms connus. Aguelasse, déjà évoqué, fait régulièrement la une de son propre magazine, La Hache, « nouvel hebdomadaire satirique nigérien ». Mais le plus connu et le plus ancien est Housseini Salifou qui, depuis la Conférence nationale de 1991, croquait déjà dans Haské, les portraits des principaux hommes politiques du pays. Fort de cette première expérience encourageante, suivie de quelques nouvelles caricatures publiées dans divers journaux indépendants, Housseini franchit le pas et lance Moustique, un hebdomadaire au ton sarcastique, agrémenté de nombreux dessins humoristiques.

En juillet 1993, après une retentissante arrestation, suite à un article mettant en cause une personnalité du Gouvernement, il est rapidement remis en liberté, grâce à la mobilisation de nombreux représentants du monde de la presse nigérienne et internationale. Aujourd’hui, Housseini préfère s’adonner à des activités d’infographiste et publier de temps à autre une caricature en première page de journaux d’opinion qui lui en font la demande. D’autres dessinateurs ont été sollicités par différents journaux indépendants pour y publier caricatures ou dessins d’actualité : Diaddo dans L’Enquêteur (1500 ex.) et Haské, Sani dans Le Canard déchaîné, L’enquêteur et La Griffe, ou Tambo dans Le Damagaram[2]. Le Hérisson publie également des dessins de presse. Ces dessinateurs de presse peuvent également publier des strips de BD. C’est le cas de Sani qui, avec Moustapha Diop, scénariste et cinéaste, publie régulièrement dans L’enquêteur des séries BD. Ce fut le cas de Tarik, le petit Targui en 2011, de Mintou, la fille du fleuve, en 2012 ou de La voix du feu, en 2014.

Les maisons d’édition

Le milieu éditorial n’est pas un moteur beaucoup plus efficace. Le pays compte une douzaine d’éditeurs : Ed. Nathan Adamou, Ed. Belle Afrique, Ed. Alpha, Ed. Daouda, Ed. Afrique lecture, Ed. Fleur du désert, Ed. du Ténéré (située en France), Gashingo (publie en langue nationale), IRSH (spécialisé en sciences humaines), INDRAP (spécialisé dans le développement), CELHTO (spécialisé en ethnologie). Toutes ces maisons ne publient que trois ou quatre titres par an, diffusés dans la petite dizaine de librairies du pays. Quelques titres pour la jeunesse ont été publiés en langues locales (haoussa, zarma, tamachek, kanouri…) au début des années 2000 par les éditions Albasa, émanation de la GTZ, avec quelques illustrations en noir plutôt malhabiles et rarement identifiables. Une collection « Hirondelle » regroupe de petits albums bilingues illustrés en couleur par Boukari Mahamadou Bahari (de Zinder) et Djibril Abdoul-Wahid, déjà présent dans Matashi, avec le soutien du Ministère de l’éducation nationale. Mais aucun de ces éditeurs – on l’aura compris – n’a jamais édité de bandes dessinées.

Tout cela peut sembler dérisoire. Pourtant, Alassane Aguelasse, qui exerce par ailleurs la profession de journaliste en dehors de son métier de dessinateur n’hésite pas à déclarer : « Oui, mes dessins me rapportent de l’argent. Je vis plus de mes dessins que d’autres choses. On peut vivre du dessin au Niger et partout ailleurs en Afrique. Au Niger, ils sont légions les dessinateurs qui vivent de leur art[3] » Ces propos sont plutôt rafraîchissants dans le contexte actuel où nombre de dessinateurs africains se plaignent de leur difficile condition matérielle. Ils illustrent également la polyvalence des professionnels africains qui sont la plupart du temps obligés d’avoir plusieurs cordes à leur arc : caricaturiste, graphiste, peintre, bédéiste ou illustrateur. Aucune de ces activités ne constitue pour eux un métier à part entière. Elles ne sont qu’une des composantes de leur vie professionnelle. Sur ce point, l’exemple nigérien ne fait pas figure d’exception. La difficulté pour ces dessinateurs à construire une œuvre ne vient pas uniquement du manque d’opportunité éditoriale. Elle est également due à la nécessité absolue de travailler dans plusieurs domaines à la fois, ce qui n’est pas propice à la création. De plus, le musellement de la presse et l’absence de liberté d’expression ne favorisent pas l’éclosion de talents.

Le seul auteur à s’être fait remarquer ces dernières années à l’étranger est Sani Djibo, premier auteur africain à publier son autobiographie en 2013 avec Un guerrier Dendi, publié dans la collection L’harmattan BD. Commencée en 2007, Le guerrier Dendi relatait les années de jeunesse de Sani.

A travers les épisodes de son épopée, racontés tour à tour de façon réaliste, poétique, onirique, et sans jamais la moindre complaisance, apparaissait en filigrane une chronique douce-amère de la vie quotidienne au Niger, ainsi qu’une chronologie accidentelle de l’histoire mouvementée de ce pays.

Premier auteur nigérien d’un album de bande dessinée, Sani était surtout connu comme caricaturiste puisque depuis 2001 il dessine des caricatures et des strips pour l’hebdomadaire Le Canard déchaîné ainsi que pour La Griffe et pour L’enquêteur. Pour celui-ci, il illustrait des comptes rendus de procès ainsi que la rubrique Le dessin du jour.

Avec Crayons de sable, association de dessinateurs de Niamey aujourd’hui inactive, il a participé en 2004 au projet collectif Tchounkoussouma sous les eucalyptus.

En 2007, avec Boulama Adam, il œuvre à la création de Daria, mensuel d’humour et de bandes dessinées tiré à 500 exemplaires et vendu à 200Fcfa l’unité. Daria a dû cesser de paraître au bout d’un an, faute de moyens.

Également peintre : il a réalisé sa première exposition au Centre culturel franco-nigérien Jean Rouch de Niamey en 2009, suivi d’une deuxième en 2014. Son travail évoque la vie quotidienne, la propagande politique, les rituels de possession ou encore Jean Rouch…
En 2011, il illustre le livre Les nigérismes ou pratiques du français au Niger publié par l’Université Abdou Moumouni de Niamey. En avril 2013, les planches de l’album Le guerrier Dendi font l’objet d’une exposition à la galerie Jakusa à Paris. Quelques planches du projet, non sélectionnées dans l’album final, ont été publiées dans la revue camerounaise de BD, Waka waka en 2013.

Entre septembre 2014 et février 2015, il est accueilli pendant six mois à la Maison des auteurs d’Angoulême dans le cadre des bourses du Centre national du livre, et avec le soutien des services de l’Ambassade de France au Niger, devenant le premier bédéiste africain à bénéficier de ce type de résidence. Il a profité de ce séjour pour travailler à la réalisation de sa prochaine bande dessinée qui relate l’histoire de son père tirailleur envoyé en Indochine[4].

La bande dessinée nigérienne n’avance donc qu’au grès d’initiatives individuelles et les auteurs ne peuvent, souvent, compter que sur eux-mêmes. Cependant, les choses évoluent progressivement en matière de formation. Du fait du soutien du service de coopération français à la chaine du livre, trois stages ont été successivement organisés en 2013 (venue du dessinateur Hippolyte), 2014 (venue de Barly Baruti) et 2015 où Six d’entre eux ont pu bénéficier d’une formation sur le dessin de presse encadrée par le Gabonais Pahé[5].

Mais il en est au Niger comme dans beaucoup d’autres pays du continent où la situation économique et politique empêche l’initiative en matière d’édition de bandes dessinées. Cette absence d’offre ne permet pas non plus la constitution d’un réel marché en la matière. Ce scénario assez classique ne permet pas d’imaginer la situation évoluer à court terme. Pour cela, il manque au Niger une réelle volonté en matière de politique culturelle, une vision à long terme en quelque sorte.

Autant croire aux miracles…..

[1] n°000, mai 2006
[2] Celui-ci a publié au début de l’année 2008, pendant 11 numéros consécutifs, une planche bilingue français / tamashek de sensibilisation au virus du VIH ; La publication était financée par un organisme étranger.
[3] « http://membres.lycos.fr/apollonniens/aguel/interview.htm »///Article N° : 8059
[4] Cf. son interview : http://www.afribd.com/article.php?a=12397
[5] Cf. http://dessins-de-presse-niger.over-blog.com/