(notes sur la création) L'autotélisme

Par Florence Trocmé

L'autotélisme désigne en arts le fait d'avoir soi-même pour but, en parlant d'un objet artistique. Il s'applique en général à certains textes littéraires : on parle de l'autotélisme d'un poème, on dit qu'un texte est autotélique, pour dire qu'il renvoie plus ou moins implicitement à sa propre création voire à la création littéraire en général (et non qu'il renvoie à lui-même, ce qui n'est qu'une mise en abyme). L'autotélisme est un phénomène important en littérature, notamment en littérature française, et surtout en poésie.
Jusqu'au milieu du XIXe siècle, un poème a un objectif de description extérieur à lui-même. Le poème devient peu à peu un texte qui désigne implicitement le fait même de créer et la création poétique (sens qui rejoint par là ce que désignait premièrement le mot poésie, du latin emprunté au grec poiêsis, « création, fabrication »).
Baudelaire, mais surtout Rimbaud et Mallarmé, emploient les procédés poétiques traditionnels (jeux phonétiques, formes fixes, suggestion) pour montrer que le poème est un objet possédant un intérêt en soi hors de toute nécessité de référentialité extérieure. (…)
Ainsi, les sonnets de Mallarmé comme quête d'un absolu sont une forme d'autotélisme en ce que cette quête d'absolu ne peut avoir de satisfaction que dans le poème lui-même — dans le poème parfait. Paul Valéry parle d'« intransitivité » du poème, par opposition à la « transitivité » des poèmes antérieurs à Baudelaire qui ont un objectif extérieur à eux-mêmes (ainsi des poèmes narratifs de Victor Hugo). C'est dans cette idée d'intransitivité que Rimbaud définit sa manière d'envisager la poésie : « J'ai voulu dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens. »
En réalité, c'est toute la poésie française à partir de Baudelaire et surtout de Rimbaud qui revêt diverses formes d'autotélisme.
Tout poème est à ce moment une création qui n'a d'autre but que lui-même, il est implicitement autotélique, d'où une impuissance herméneutique face au texte (cf. l'indécidabilité de nombreux poèmes de Rimbaud) : l'interprétation, si profonde soit-elle, ne peut en révéler toute la richesse. C'est ce qu'explique René Char d'une manière tellement précise :
 « L'observation et les commentaires d'un poème peuvent être profonds, singuliers, brillants ou vraisemblables, ils ne peuvent éviter de réduire à une signification et à un projet un phénomène qui n'a d'autre raison que d'être. »
Ce qui explique le caractère d'expérience existentielle que revêtira désormais la poésie selon Blanchot :
 « Comprendre un poème n'est pas accéder à une pseudo-signification, mais coïncider avec son mode d'existence. »
In Wikipédia.
Image : boules de Jean-Luc Parant, source