Deux exercices simples de salutations thaïes

Publié le 06 septembre 2017 par Neutrinou

Le "wai" implique une légère génuflexion, largement oublié lors de rencontres ordinaires


Hier, Somsouaï, la meilleure amie de Fon, est venue à la maison pour déposer des vêtements dont elle ne veut plus, afin que Fon les vende sur le petit marché qui se tient le dimanche matin tout près de la ferme.
Fon et Somsouaï sont du même village et elles ont été à l'école ensemble. Elles sont amies depuis toujours. Somsouaï est une gentille fille, et même si cela m'agace de voir la maison remplie en permanence de sacs de fringues, je supporte... et vais encore supporter longtemps. Car elle n'en a jamais fini de revendre vu qu'elle n'en a jamais fini d'acheter, c'est une fashion addict...
Somsouaï est venue avec son mari que je connais - je les ai même invités un soir à dîner dans une gargote du marché où nous les avions croisés à l'époque où nous habitions en centre ville. Somsouaï et lui sont mariés depuis presque dix ans - Fon le connaît donc bien. D'après ce que j'ai compris et observé, ce n'est pas un ours, c'est un type "normal".
Mais là, il s'est passé quelque chose qui n'a rien à voir avec ma condition de farang. L'amie et son mari sont arrivés dans leur pick-up. J'étais dans l'entrée, invisible, mais aux premières loges. Somsouaï est sortie de la voiture et a marché vers la maison. Dès qu'elle m'a vu, elle m'a saluée et j'ai fait de même. Puis elle a directement commencé à parler avec Fon - sans transition, comme si elles s'étaient quittées il y a cinq minutes.
Ce qui m'a semblé étrange, c'est l'attitude du mari : il est parti dans le jardin au vu et au su de Fon sans lui dire bonjour - pas même un petit signe de main. Pourtant, leurs relations sont excellentes. Mais bon, il n'avait prévu aucune interaction avec l'amie de sa femme. Alors il est allé faire autre chose.
J'avoue que je n'arrive toujours pas à m'habituer. J'ai dû demander à Fon un petit rappel des règles. Je te la fais en devinettes. Avec les personnages suivants :
- Tongporn et son mari Lamoun,
- Songsi et son mari Clark (qui est farang).
Songsi, Lamoun et Tongporn se connaissent. Tongporn connaît Clark.
Devinette 1 : Songsi et Clark se promènent dans la rue et rencontrent Lamoun (qui ne connaît pas Clark). Songsi et Lamoun se sont vus il y a quatre jours. Lorsqu'ils se rencontrent, qui salue qui ?
Réponse : Personne ne salue personne. Lamoun et Clark ne se saluent pas parce qu'ils ne connaissent pas. Lamoun parle directement à Songsi exactement comme si Clark était invisible. Comme Songsi et Lamoun se sont vus récemment, ils sont dispensés de toute formule de politesse.
Version US : tout le monde se dit bonjour.
Version french :
de plus, Lamoun lèche la face de Songsi.

Devinette 2 : Tongporn était avec Lamoun (son mari) quand Songsi les a rencontrés il y a une semaine. Tongporn et Lamoun vont chez Clark pour voir Songsi. En fait, seule Tongporn a quelque chose de précis à faire avec Songsi. Lamoun reste à l'écart et ne salue personne. Que s'est-il passé ? Y a-t-il un problème ?
Réponse : Non, il n'y a aucun problème. En arrivant chez Clark, personne ne se salue. Lamoun reste à l'écart, il n'a fait aucun signe à Clark parce qu'il ne le connaît pas, ni à Songsi parce qu'il l'a vue récemment - et il n'a rien de précis à faire avec elle en l'occurrence. Il agit donc comme si ces deux là étaient transparents. Par ailleurs, Tongporn et Songsi ne se saluent pas car elles se sont vues récemment.
Version US : tout le monde se dit bonjour (y compris Lamoun et Clark qui font connaissance).
Version french :
en plus, tout le monde se lèche la face sauf les garçons (qui ne se connaissent pas).

En résumé :
Règle 1 : si on ne se connaît pas, on ne se salue pas et on s'ignore ;
Règle 2 : si on s'est vu récemment, on ne se salue pas ;Règle 3 : l'inverse de la règle 2 n'est pas vrai : même si on ne s'est pas vu depuis un certain temps, on n'est pas obligé de se saluer. Tout dépend de ce qu'on partage avec la personne (et d'un éventuel lien hiérarchique ?)
Dans la culture thaïe règne un pragmatisme étonnant dans les relations interpersonnelles. Une grande sobriété dans les démonstrations. Tant qu'on n'est pas dans un cadre formel, il n'y a plus aucune obligation, aucun art de la conversation. Le silence n'est jamais gênant. D'ailleurs, c'est bien connu, il n'y a pas d'anges (qui passent) dans l'imaginaire bouddhiste.
Du fait qu'on les ignore complètement, certains farangs (à la susceptibilité exacerbée ?) pourraient interpréter ce comportement comme une marque de dédain. Iraient-ils jusqu'à dire que cette attitude est une marque de xénophobie, c'est possible. Les thaïs sont sans doute xénophobes - je ne connais pas de population dans le monde qui n'apparaisse pas xénophobe sur la durée - mais il faut en chercher des preuves ailleurs.
A vrai dire, les thaïs me semblent moins xénophobes que les habitants de petites communautés rurales de Basse-Bretagne.
Et je préfère les thaïs silencieux et indifférents aux thaïs mielleux ou obséquieux. Ou même tout simplement chaleureux : parce qu'alors, il y a tout à parier pour qu'ils fassent semblant.