DIABÈTE et INCONTINENCE : Une comorbidité silencieuse trop souvent négligée

Publié le 16 septembre 2017 par Santelog @santelog

Des très nombreuses études ont confirmé que la prévalence et l'incidence de l'incontinence sont élevées chez les patients atteints de diabète de type 2, de type 1 et de prédiabète. Il a également été suggéré que la perte de poids peut réduire l'incontinence chez les femmes atteintes de diabète de type 2, avec des preuves plus limitées en cas de type 1. Alors que le contrôle glycémique ne semble pas réduire le risque à long terme d'incontinence, dans la prise en charge des personnes diabétiques, les médecins doivent être plus attentifs au développement d'une incontinence urinaire, en particulier pace qu'elle reste peu signalée lors des consultations diabétiques.

Généralités

Le diabète de type 2, facteur de risque indépendant majeur d'incontinence urinaire : le diabète de type 2 et l'incontinence urinaire chez les femmes sont des comorbidités fréquentes, chroniques et avec des implications importantes en termes de coûts pour la santé publique, dont de soins médicaux, de services, mais aussi d'invalidité et de mortalité prématurée. L'incontinence urinaire a, en particulier, des conséquences importantes sur la qualité de vie, dont l'isolement social, la stigmatisation, la dépression et l'institutionnalisation en fin de vie. Il existe aujourd'hui des preuves épidémiologiques solides qui lient diabète et incontinence : ainsi, la prévalence de l'incontinence urinaire est de 50 à 200% plus élevée chez les femmes atteintes de diabète de type 2 que chez les femmes à glycémie normale. L'analyse des données de la fameuse cohorte Nurses' Health Study estime la prévalence de l'incontinence hebdomadaire à 17% chez les participants exempts de diabète mais à 24% chez les participants diabétiques. Dans la même cohorte, une incontinence sévère (fuites quotidiennes et importantes) est retrouvée chez 2% chez les femmes sans diabète vs 4% des femmes atteintes de diabète. Les données sur l'incidence de l'incontinence reflètent des modèles similaires. La plupart des études menées sur ces comorbidités concluent à une prévalence et une incidence de l'incontinence urinaire significativement plus élevées chez les femmes diabétiques de type 2, même après ajustement avec les différents facteurs de confusion possibles, dont, notamment l'IMC (indice de masse corporelle).

Le diabète de type 1 associé à un risque accru d'"urgenturie " : s'il existe moins d'études sur cette association, des données récentes montrent des taux de prévalence de près de 20% pour l'incontinence hebdomadaire chez les femmes souffrant de diabète de type 1 (9% vs 4,5% avec l'Uro-EDIC study). Ces données valent également après ajustement pour l'âge, l'IMC, l'hystérectomie et le tabagisme. Ainsi, le diabète de type 1 peut aussi constituer un facteur de risque d'incontinence urinaire chez les femmes.

Le prédiabète facteur de risque au même niveau que le diabète de type 2 : ainsi, pour n'en citer qu'une, l'analyse des données de l'étude NHANES suggère que les femmes souffrant d'hyperglycémie à jeun ont une prévalence élevée d'incontinence urinaire similaire aux femmes atteintes de diabète. Les complications microvasculaires associées, la microalbuminurie et la douleur neuropathique périphérique sont également significativement associées à l'incontinence. Ainsi, l'incontinence est considérée comme une conséquence plus fréquente de l'hyperglycémie que d'autres complications microvasculaires dont la rétinopathie, la neuropathie ou la néphropathie.

La neuropathie autonome, principale complication de l'association Incontinence et Diabète : cette neuropathie affecte directement le contrôle vésico-sphinctérien. La vessie neurogène diabétique n'apparaît qu'après 10 ans au moins d'évolution du diabète par atteinte périphérique et autonome.

-Plus de 7,5% des patients avec un diabète non insulino-dépendant ont une neuropathie au moment du diagnostic,

-15,2% présentent des anomalies sur la vitesse de conduction nerveuse au moment du diagnostic,

-l'incidence de la neuropathie augmente de 50% lorsque l'ancienneté du diabète dépasse 25 ans,

-25 à 50% des patients diabétiques signalent l'existence d'une cystopathie (physiopathologie de la vessie) diabétique.

Les conséquences de la vessie diabétique sur le haut appareil urinaire sont difficiles à déterminer car il s'y associe généralement une néphropathie diabétique qui apparaît chez plus de 40% des diabétiques insulino-dépendants.

Des facteurs de risque en commun : chez les femmes, les facteurs de risque d'incontinence comprennent notamment l'âge, les naissances, l'hystérectomie, l'excès de poids et l'utilisation d'œstrogène. Cependant, les mécanismes par lesquels le diabète conduit à l'incontinence, restent mal connus. Quelques études suggèrent les complications micro-vasculaires, physiologiques et neurologiques du diabète comme des facteurs de compromission des mécanismes de continence. Enfin, le diabète semble induire ce risque accru d'incontinence avec ou sans obésité- l'obésité étant néanmoins un facteur reconnu et indépendant d'incontinence. La relation positive entre obésité et résistance à l'insuline suggère cependant des mécanismes en commun.

Prévention et prise en charge de l'incontinence urinaire en cas de diabète

La prise en charge thérapeutique d'un trouble mictionnel isolé chez le diabétique reste encore symptomatique car se pose le problème étiologique, du fait de pathologies associées, parmi lesquelles les syndromes obstructifs prostatiques chez l'homme, les dysfonctions pelviennes chez la femme et le vieillissement. La prise en charge de l'hypertrophie bénigne de la prostate nécessite une extrême prudence afin de ne pas détériorer un équilibre vésico-sphinctérien fragile. L'hyperactivité vésicale du diabétique doit être mieux dépistée pour être traitée. L'hypocontractilité du détrusor également lié à la cystopathie diabétique est difficile à traiter.

Il faudrait pouvoir repérer les patients grâce aux signes cliniques, pour réaliser les explorations urodynamiques nécessaires afin d'évaluer l'état vésico-sphinctérien.

Les explorations urodynamiques s'imposent en cas de traitement chirurgical envisagé d'un trouble urologique ou gynécologique associé.

Les interventions de mode de vie axées sur le régime alimentaire et l'activité physique ou le traitement par metformine pourrait prévenir l'incontinence urinaire chez les femmes en surpoids ayant une mauvaise tolérance au glucose. Après 3 ans d'adhésion à un mode de vie plus sain, la prévalence de l'incontinence urinaire serait réduite, indépendamment de l'âge ou de l'IMC de départ. Dans ces études, c'est la perte de poids qui apparaît médier ce bénéfice de l'intervention de mode de vie sur la réduction de l'incontinence. Quant au diabète de type 1, l'Étude EDIC suggère également qu'une intervention sur le mode de vie a des effets de réduction des symptômes d'incontinence.

La reconnaissance et la détection de l'incontinence urinaire restent à améliorer. On sait que moins de 40% des femmes éprouvant des fuites urinaires le mentionnent à leur médecin. Chez les hommes et chez les hommes atteints de diabète, le nombre de patients atteints d'incontinence qui recherchent des soins est également très faible (~ 4%). Lorsque c'est le diabète qui est principalement suivi, la communication sur l'incontinence est encore moins fréquente. Des stratégies visant à améliorer le diagnostic d'incontinence urinaire dans le cadre des soins primaires du diabète sont donc nécessaires. Quant à la prise en charge de l'incontinence chez les patients diabétiques, elle mérite de plus amples recherches. Il n'est pas clair que les traitements standards de l'incontinence urinaire soient efficaces à des degrés similaires chez les femmes diabétiques. Avec le vieillissement de la population, à la fois la prévalence du diabète et du dysfonctionnement des voies urinaires, augmentent. La vigilance est donc à l'ordre du jour sur l'incontinence urinaire souvent non détectée et sous-traitée chez nos aînés atteints de diabète et de pré-diabète.

Un exemple de cas clinique INCONTINENCE et DIABÈTE : Madame B. souffre d'une incontinence urinaire quasi-permanente

Madame B., âgée de 71 ans et qui pèse 110 Kg pour 1m64 soit IMC : 41 kg/m2 souffre d'obésité, de diabète et présente une incontinence urinaire quasi-permanente, motif de sa consultation. Madame B. qui présente également de multiples antécédents médicaux, dont des troubles de la santé mentale est polymédiquée. Des interventions de mode de vie, de prise en charge de l'incontinence et un ajustement du traitement pharmacologique du diabète s'imposent.

Antécédents médicaux

Diabète non insulinodépendant (DNID) et obésité

Cardiopathie hypertensive

Tentative de suicide (TS) médicamenteuse et dépression

AVC compliqué d'une épilepsie sur séquelles

Fracture de la cheville

Antécédents gynéco-obstétricaux

G2P2 (2 grossesses ayant abouti à 2 naissances vivantes) par voie basse, déchirure. Poids naissance 3,3kg et 3,2kg

FC (fausse couche) : 0

RPP (rééducation périnéale et pelvienne) : 0

Ménopause : 50 ans pas de THS

Traitements en cours

-Stagid (metformine) 700mg 0-1-1

-Gliclazide (ADO) 30mg 4-0-0

-Kardégic (Antiagrégant plaquettaire) 75mg 0-1-0

-Bisoprolol (Bêtabloquant-insuffisance cardiaque) 5mg 1-0-0

-Ramipril (Inhibiteur de l'enzyme de conversion- hypertension) 10mg 1-0-0

-Furosémide (Diurétique) 20mg 1-0-0

-Topiramate (Antiépileptique) 50mg 3-0-3

-Venlafaxine (Antidépresseur-anxiolytique) 75 LP 2-0-0

-Omeprazole (IPP-RGO) 20mg 0-0-1

-Atorvastatine (Hypolipémiant) 40mg 0-0-1

-Zopiclone (sédatif) 7.5mg 0-0-0-1

-Movicol (Laxatif) sachet 1-0-0

-Lantus (Insuline) 18UI le soir en sous cutané

Mode de vie
  • Poids : 110 Kg, taille : 164cm, IMC : 41 kg/m2 avec perte récente de poids de 8 kg
  • Activité physique : marche difficilement
  • Activité professionnelle : retraitée - ancienne assistante dentaire
  • Apports hydriques estimés à 1,3L
  • Tabagisme : occasionnel, a arrêté
Histoire clinique
  • Symptomatologie urinaire
  • Incontinence urinaire quasi permanente
  • Port de protection = change complet plusieurs fois /jour
  • Besoin non perçu
  • Pas de syndrome dysurique
  • Pas de symptomatologie anorectale : transit régulier
  • Symptomatologie sexuelle : sans activité
  • Impact qualité de vie : 6 /10. Désir de prise en charge : oui
Examen clinique

-Examen neuro-périnéal : Atrophie vaginale. Réflexes périnéaux présents. Le testing est coté à 1/5 faible non analytique

-ECBU (L'examen cytobactériologique des urines) : stérile

-Echographie réno-vésicale : 2 kystes simples polaires supérieurs du rein gauche de 20 et 27 mm

Conclusion
  • Vessie de compliance normale, hypoesthésique, avec hyperactivité détrusorienne déclenchant une urgenturie et une fuite sur petite capacité cystomanométrique (100 ML) dans les conditions de l'examen.
  • Pression vésicale de base à 22 H²0 cm
  • Aucun besoin exprimé avant miction complète sur table sur urgenturie
  • Contraction non inhibée du détrusor à 96 mL de remplissage
  • Fuite sur table pendant la contraction non inhibée du détrusor
  • Miction totale sur table par contraction vésicale sans résidu post-mictionnel
  • Insuffisance sphinctérienne : pression urétrale de clôture vessie pleine à 27 cm H²0
  • Polymédication iatrogène à revoir
Propositions
  • Mise en œuvre de règles hygiéno-diététiques de perte de poids
  • Traitement de la mycose du pli abdominal et du pli de l'aine
  • Programmation des mictions toutes les 2 à 3 heures
  • Rééducation pelvi-périnéale : 20 séances
  • Passage des changes complets au niveau d'absorption supérieur (ex : TENA Slip Maxi)
  • Traitement hormonal local par ovules + crème de Colpotrophine
  • Conseils de simplification de l'ordonnance :
  • Traitement du diabète à revoir : Gliclazide source d'hypoglycémie à arrêter si possible, en augmentant l'insuline lente si besoin,
  • arrêt du Topiramate ayant une action vésicale (attention au déséquilibre du diabète car interaction entre ces 2 médicaments) et si traitement anti épileptique indispensable essayer de switcher pour un autre. Venlafaxine a aussi une action vésicale mais compte-tenu de l'antécédent de TS : pas d'arrêt sans avis psychiatrique.
  • Revoir le traitement cardiologique notamment diurétique au long cours source de pollakiurie.
Si une fois toutes ces mesures mises en œuvre, la patiente ne présentait pas d'amélioration, la revoir en consultation pour essai d'un traitement anticholinergique en l'absence de contre-indication et en surveillant les nombreux effets secondaires.