[Critique] JESSIE

Par Onrembobine @OnRembobinefr

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Titre original : Gerald’s Game

Note:
Origine : Etats-Unis
Réalisateur : Mike Flanagan
Distribution : Carla Gugino, Bruce Greenwood, Henry Thomas, Kate Siegel, Chiara Aurelia, Carel Struycken…
Genre : Drame/Thriller/Adaptation
Date de sortie : 29 septembre 2017 (Netflix)

Le Pitch :
Afin de relancer son mariage qui bât de l’aile, Jessie accepte de passer quelques jours avec son mari Gerald dans leur propriété à la campagne. Jessie qui a aussi accepté de se faire menotter au lit afin de répondre aux fantasmes de son époux. Une expérience qui tourne au drame quand l’homme est foudroyé par une crise cardiaque, laissant Jessie seule, attachée et complètement démunie…

La Critique de Jessie :

D’innombrables livres de Stephen King ont été adaptés au cinéma, avec plus ou moins de succès. Des grands romans ont donné des films plus ou moins décevants (La Tour Sombre, pour citer un exemple récent) et des nouvelles passées un peu inaperçues ont débouché sur des chefs-d’œuvre. Jessie lui, a été mis de côté, pour des raisons évidentes. Parce qu’il n’est, par exemple, pas évident de faire un film avec une histoire qui tourne autour d’une femme attachée à son lit qui lutte pour sa survie tout en étant assaillie par les fantômes d’un passé qui profite de l’occasion pour la hanter. Jessie étant certainement l’un des bouquins les moins « cinématographiques » du King… Contrairement à Shining, Simetierre, Christine ou Carrie donc…
Mais Mike Flanagan a souhaité s’y frotter. Épaulé par Netflix, le cinéaste connu pour les très efficaces Oculus et Pas un Bruit ou encore pour l’onirique Ne t’endors pas (Before I Wake), a mis en chantier cette adaptation forcément casse-gueule au moment même où King faisait l’objet d’une attention toute particulière, revenant sur le devant de la scène, à la télévision et au cinéma, à travers un nombre impressionnant de projets (La Tour Sombre, Ça, les séries Mr. Mercedes, The Mist, Castle Rock, le film Netflix 1922). Car si il est de prime abord tentant d’accuser Netflix et Mike Flanagan d’utiliser Jessie pour surfer sur la vague, il n’en est rien, vu que le long-métrage a plus ou moins été mis en chantier en même temps que les autres adaptations. Ceci étant dit, que vaut Jessie ?

Clouée du lit

Il faut tout d’abord saluer la clairvoyance de Flanagan ou des personnes qui ont décidé de confier le rôle principal à Carla Gugino. Actrice talentueuse s’il en est mais souvent sous-exploitée, au premier plan (rarement) ou au second (le plus souvent), Carla Gugino trouve dans Jessie, l’un de ses meilleurs rôles. Une comédienne qui convient non seulement parfaitement au personnage physiquement parlant, elle qui est d’une beauté pénétrante et totalement en phase avec les intentions du rôle, mais aussi complètement capable d’embrasser la complexité de ce dernier. Carla Gugino qui est donc au centre de l’intrigue, de tous les plans, accompagnée d’un Bruce Greenwood lui aussi impeccablement casté. Elle tient bon tout du long tandis que Jessie, impuissante, se laisse gagner par une folie qui prend des formes cruellement familières. Elle est l’âme du long-métrage et sans elle, sans sa clairvoyance, son charisme et sa capacité à faire vivre l’intrigue et à incarner la détresse et la détermination de Jessie, tout ceci aurait pu s’avérer beaucoup plus anecdotique qu’en l’état.
Car Jessie est un bon film. Plus que cela, c’est une excellente adaptation. Une adaptation qui brille par son courage, qui fonce bille en tête jusqu’au dénouement, sans perdre de vue le roman de Stephen King, en rendant donc hommage à ce dernier mais en faisant montre d’une écriture pertinente qui ne se repose pas totalement non plus sur son modèle pour aller chercher une véritable singularité. Singularité salvatrice…

Grasse matinée fatale

Car si Carla Gugino est le pilier du film et l’un de ses principaux points forts, c’est aussi grâce à son scénario et à sa mise en scène que Jessie s’impose sans mal comme l’une des meilleures transpositions de King au cinéma. Certes pas au niveau de monuments comme Simetierre, Stand By Me et consorts, et moins sophistiqué graphiquement que le récent Ça, mais quand même. On peut légitimement parler de coup de force, tant Jessie a su faire les bons choix et prendre finalement le récit complexe et dense de King par le bon bout. Et c’est quand le décors est posé et que la protagoniste se trouve attachée à son lit, en proie à la faim, à la soif et à de multiples menaces, que le film dévoile son jeu. Qu’il donne tout ce qu’il a et qu’il prouve en prenant un maximum de risques en choisissant de ne pas survoler les éléments les plus délicats du roman pour en livrer une interprétation personnelle. Certes le dénouement est un peu vite balancé et donc un poil maladroit, mais force est de reconnaître que Mike Flanagan et Jeff Howard, son co-scénariste, n’ont pas opté pour des détours faciles comme avait pu le faire Cujo en son temps (qui reste très effrayant et plutôt hardcore dans son genre néanmoins). Ici, Jessie ne perd pas de son essence, parfois il trébuche mais se relève toujours.
À l’arrivée, Jessie se pose, à l’instar du roman, mais en parvenant à se montrer plus accessible et donc plus universel à bien des égards, comme le conte cruel d’une femme bafouée. Le personnage incarnant à lui tout seul une oppression déchirante que Flanagan illustre avec brio, tact, puissance et une once d’onirisme tout à fait bienvenue bien qu’un tantinet bancal. Jessie traite de résilience. Du combat d’une femme pour sa survie. Une femme écrasée par les hommes depuis sa plus tendre enfance qui se révèle dans l’adversité et qui s’accomplit au contact de la mort. Car Jessie est aussi un pur film de genre. Un long-métrage d’épouvante caché sous les apparats du thriller, comme peut le prouver son dernier quart. Là aussi Mike Flanagan surprend dans le bon sens. Là aussi le réalisateur accepte d’y aller franco, sans faire marche arrière, jouissant d’une liberté qui se voit et qui s’apprécie. Comme celle dont est privée cette épouse soumise poussée jusque dans ses derniers retranchements et dont les souffrances caractérisent à des bien égards le discours que le scénario tente avec succès de nous proposer.

En Bref…
Tour de force souvent tétanisant, certes pas dénué de petits défauts narratifs, mais résolument hardcore et respectueux dans sa démarche, Jessie se positionne sur le haut du panier des adaptations cinématographiques de Stephen King. Visuellement aussi audacieux qu’au niveau de son écriture, ce film magnifiquement incarné par une Carla Gugino en état de grâce se paye le luxe, en plus de distiller une tension de plus en plus palpable, de proposer un discours auquel il parvient à donner du corps sans démériter tout du long.

@ Gilles Rolland

Crédits photos : Netflix